Dans le monde de l'art, il existe une croyance largement répandue selon laquelle la douleur et la souffrance font nécessairement partie du processus de création et que, pour être productifs, les artistes doivent être émotifs et souffrir: c'est ce qu'on appelle le tempérament d'artiste, et je m'y suis trouvée confrontée.
A la faculté, nous avions des discussions tout à fait passionnées au sujet du processus de création. Professeurs et étudiants étaient d'accord sur le fait que, tout comme le conflit est l'essence même du théâtre, la tension est à la racine de toute création: la tension entre des éléments opposés tels que par exemple l'ombre et la lumière, le bien et le mal, la vérité et l'erreur. La vibration entre deux opposés déclenche le phénomène de créativité. Cette même tension se manifeste dans le tempérament d'artiste, ses hauts et ses bas, ses moments de dépression ou d'exaltation, de contrôle de soi ou de dépendance.
D'un côté, cette perception ne me semblait pas fausse, car artiste moi-même, je ressentais bien cette tension mais, comme j'étais scientiste chrétienne, elle me dérangeait par ailleurs. Comment pouvais-je accepter qu'un univers formé par un Dieu entièrement bon, inclue obligatoirement des éléments conflictuels, ou que la création du beau doive naître de la souffrance et de la lutte ? Il me semblait aussi que, si deux choses étaient vraiment opposées, elles ne devraient pas générer de tension, mais s'annuler mutuellement: la Vérité n'est pas en conflit avec un mensonge, elle le détruit.
Mais un jour j'ai compris quelque chose. Il y a bien une dualité dans la créativité, une tension. Cependant il ne s'agit pas d'une tension entre des opposés, mais entre des éléments complémentaires, entre des qualités qui s'équilibrent l'une l'autre, se stimulent et s'alimentent. Par exemple, si la spontanéité n'équilibre pas d'une manière ou d'une autre votre sens de discipline, alors celui-ci se transforme en rigidité, ce qui n'est pas une bonne chose; si au contraire aucune discipline ne tempère votre spontanéité, celle-ci peut virer à l'emportement.
Par contre, quand la spontanéité et la discipline marchent de pair, elles sont à l'origine d'un mouvement, de possibilités, de quelque chose de nouveau, et dans ce cas il s'agit de la bonne sorte de tension, celle qui aboutit à une bonne création.
C'est un peu comme dans la phrase de Science et Santé: « Que "l'homme et la femme" de la création de Dieu apparaissent. » (p. 249). Ce concept du "deux qui fait un" est un élément fondateur de l'acte de création, mais il ne s'agit pas d'une unité marquée par la souffrance, la violence de l'effort ou par le conflit entre ses composantes; il s'agit de deux éléments réunis qui s'additionnent pour former un tout beau et complet.
Cette réflexion qui a révolutionné la façon dont je perçois la créativité m'a aidée à centrer ma recherche sur ces « paires » qui deviennent « une » dans ma vie et dans mon travail, c'est-à-dire sur les qualités et actions complémentaires qui vont faire apparaître quelque chose de bon et de valable. Et sans que j'aie à souffrir lors du processus de création.
