J'ai pris des cours de musique pendant toute ma scolarité. J'avais un piano chez moi, je jouais dans la fanfare de l'école et je faisais partie d'un groupe de jazz avec les scouts. Mes parents me payaient des cours de piano et de clarinette. J'ai eu beaucoup d'occasions de me produire en public: aux concerts de l'école, à des bals et en récitals. Mais les concerts qui me posaient le plus de problèmes étaient les auditions de piano solo. Je me souviens très bien du premier.
Mon professeur et moi-même avions travaillé un morceau pendant les cours et je m'étais entraîné à la maison. J'avais même joué dans la salle de concert avec mon professeur comme public. Mais le jour du concert, c'était comme si mes doigts s'étaient changés en beurre mou. Je me sentais horriblement seul sur scène, nu, responsable de produire une exécution parfaite et totalement incapable de le faire. La peur avait gagné le premier round.
Essayer de jouer en public ressemblait pour moi à un épisode de la série télévisée « Mission impossible » — sauf qu'à la fin l'impossible ne devenait pas possible. Je n'ai pas un souvenir bien clair de ce que ma musique a pu donner dans ce premier récital, mais tout le monde avait été très poli et encourageant. Et la conclusion s'imposait d'elle-même: si je voulais poursuivre mes concerts en public, il me fallait vaincre la peur.
A cette époque-là, je fréquentais une école du dimanche de la Christian Science, et lors d'un dimanche mémorable, nous avons discuté dans ma classe de la possibilité d'écouter Dieu nous parler par l'intermédiaire de notre conscience. La vraie communication a une source spirituelle, elle est dirigée spirituellement, et comme la communication inclut la langue universelle de la musique, ce fait pouvait m'aider à prier à propos de ma situation.
Je savais au fond de moi que les messages de Dieu sont toujours clairs, complets et parfaits. Mon travail consistait à refléter la perfection de Dieu en écoutant Ses instructions. Dieu n'avait pas peur, donc il n'était pas logique que l'enfant de Dieu ait peur. J'ai résolu alors d'acquérir une compréhension plus claire du fait que je faisais partie de la création de Dieu, qui ne connaît pas la peur.
Beaucoup d'artistes pensent qu'il est naturel d'avoir le trac, de sentir son estomac se nouer. Pourtant, un musicien qui avait étudié la Christian Science m'a appris à renverser cette sensation. « Tu peux faire de cette gêne quelque chose de positif », me dit-il. Il me conseilla de penser à ces « nœuds » dans l'estomac non comme à des signes avant-coureurs d'incapacité, mais comme à une invitation à faire de mon mieux, à me dévouer à exprimer la beauté de Dieu. Cette idée m'a permis de faire du trac un atout pour mes concerts.
A partir de ce moment, j'ai attendu les concerts avec l'idée de voir la manifestation de la perfection divine plutôt que l'expression de capacités humaines variables. Si je faisais une fausse note, cela n'avait pas d'importance. Je pouvais continuer à jouer et faire mieux la prochaine fois. Parce que Dieu n'est pas limité, l'occasion qui m'était donnée de découvrir la perfection n'était pas limitée non plus. Dieu est seul responsable de la perfection.
Parfois, j'étais tenté de me demander — surtout en jouant, par exemple, une fugue de Bach — quelles étaient mes chances d'arriver au bout sans une seule faute. Il est aisé de deviner le résultat d'un point de vue basé à ce point sur le hasard. Comme j'acceptais l'idée que je n'étais qu'un exécutant qui pouvait s'embrouiller et qui était personnellement responsable de la perfection, les erreurs se succédaient.
Un ami bien intentionné m'a même dit (en ne plaisantant qu'à moitié) que je devrais m'attendre à faire au moins une faute dans un morceau et qu'ainsi le reste irait tout seul. Cela m'a assez secoué pour que je revoie honnêtement ce que je pensais de la perfection, et je suis retourné vers les faits spirituels de base.
Toute inharmonie dans mon exécution devait venir de la croyance que c'était un être humain défectueux (moi) qui jouait alors que j'aurais dû considérer le morceau comme l'occasion de voir la merveilleuse nature de Dieu s'exprimant à travers moi. Mary Baker Eddy exprime cette idée d'une autre façon dans Science et Santé, livre que j'ai étudié toute ma vie: « Un mortel mécontent et discordant n'est pas plus un homme que la discordance n'est la musique. » (p. 305)
Ainsi, corriger les fautes en musique signifiait corriger ma perception de qui j'étais. Si bien que lorsque j'ai à nouveau joué des fugues de Bach, je suis resté calme, ayant confiance que Dieu, non une loi de probabilité, guidait ma musique. Résultat: beaucoup plus d'aisance et de nombreuses exécutions parfaites depuis lors.
Faire du trac un atout, et ne faire aucune faute, dépend d'une chose: dans quelle mesure reconnaît-on Dieu en tant que Créateur ultime, en tant qu'Exécutant parfait ? Mû par la main réconfortante et conductrice de l'intelligence divine, je me suis aperçu que je pouvais me sentir parfaitement à l'aise sur scène.
