Le pardon remonte aussi loin que le péché. Les hommes y ont toujours intensément aspiré dans l'espoir de réparer le passé.
Les grandes figures de la Bible font sans cesse référence au pardon, et c'est parfois celui de Dieu qu'elles recherchaient: Moïse par exemple le demanda pour le compte des enfants d'Israël après les avoir surpris à adorer des idoles; de même, lors de la consécration du Temple de Jérusalem, Salomon pria Dieu de pardonner aux Israélites tous les péchés qu'ils avaient commis dans le passé. Jésus, quant à lui, enseigna à ses disciples à prier ainsi: « Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » (Matthieu 6:12) Puisque, selon le Psalmiste, le Seigneur pardonne (Psaume 86:5), les lecteurs de la Bible présument tout naturellement que Dieu exauce toutes les demandes sincères de pardon.
La Bible toutefois ne s'en tient pas simplement à l'art de demander pardon, elle suggère que le fait de pardonner soi-même est plus important encore, comme on le voit dans l'histoire de Joseph. (Chapitres 37 et 39 à 50 de la Genèse) Joseph est en effet victime de la jalousie féroce de ses frères, jalousie due au traitement de faveur que lui accorde son père, le patriarche Jacob. Ses frères le tourmentent pour finalement le vendre comme esclave. Alors qu'il est devenu un personnage en vue et qu'il sauve l'Égypte d'une terrible famine, Joseph n'oublie pas ce qui lui est arrivé dans sa jeunesse, comme le révèle la suite de l'histoire. En fin de compte, non seulement il se trouve face à ses frères, mais il est aussi confronté à lui-même et à ses sentiments à leur égard. Au début, son cœur semble endurci, puis tout doucement le fil de l'histoire nous révèle un homme tendre dont les larmes laissent apparaître le désir de réconciliation. Enfin vient le moment où Joseph déverse un flot de paroles exprimant un pardon sincère pour ses frères. En outre, explique-t-il, il a fini, en dépit de tout, par remplir la mission voulue par Dieu, car, en plus d'occuper un poste important, il est aussi capable de sauver le peuple de la famine. Son humilité lui permet de se détacher des blessures personnelles de son passé et de voir qu'en fin de compte Dieu l'a béni et lui a permis de faire du bien à toute une nation.
Les actes de Joseph sont certes très impressionnants, mais l'approche de Jésus en ce domaine est plus remarquable encore: il vivait tout simplement le pardon. L'ordre qu'il a donné de pardonner « septante fois sept fois » donne déjà une certaine idée de sa nature clémente (Matthieu 18:22). Il a montré que le pardon n'est pas juste une attitude que l'on adopte. Il défendait toujours la pureté intérieure de chacun, quel que soit le péché manifesté à l'extérieur. Il partageait le pain avec les impopulaires publicains blanchisseurs d'argent, et il a mis les pharisiens au défi de regarder dans leur propre cœur lorsqu'ils ont essayé de condamner une femme pour adultère.
Lorsqu'il a été lui-même attaqué, Jésus a continué à incarner ce même esprit de pardon. Lors de sa crucifixion par exemple, et pendant les heures qui l'ont précédée, il a réagi avec amour et sans ressentiment à ce moment critique de sa vie, allant jusqu'à guérir l'oreille blessée de l'un des hommes venus l'arrêter. Même après toutes les moqueries, crachats, et coups qu'il endura ensuite, sa position ne changea pas. « Père, a-t-il dit, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » (Luc 23:34)
Pourtant, en dépit de l'exemple émouvant de Jésus, nombreux sont ceux qui ont de la réticence à pardonner. Aux yeux de celui qui doit pardonner, le pardon en effet est souvent assimilé au fait de céder et il le voit donc comme une faiblesse de sa part. Consultez quelques dictionnaires et vous en comprendrez la raison. Au verbe « pardonner », on trouve par exemple, comme première entrée « excuser » ou encore « absoudre » et l'on comprend alors pourquoi les gens hésitent à envisager de pardonner.
La langue de l'Ancien Testament, comme celle du Nouveau, montrent cependant pourquoi il n'en n'était pas ainsi à l'époque: nasa, un verbe de l'hébreu qui évoque le pardon, a le sens de « emporter », « enlever »; en grec, aphiemi veut dire entre autres « laisser », « chasser ». Pour les Anciens, le pardon pouvait signifier, de façon tout à fait littérale: « retirer le poids du passé, annuler d'horribles crimes et chasser pour toujours un passé douloureux ». Il était possible en effet, d'inverser jusqu'aux péchés de celui qui les avait commis, d'effacer ainsi tout effet ou souvenir néfaste et d'aider les deux parties à trouver la paix.
Personne n'a jamais dit qu'il était facile de pardonner et cela ne l'a jamais été. Or il est très souvent arrivé que le pardon soit suffisamment puissant pour rétablir l'équilibre et pour remettre quelqu'un sur le bon chemin. Les personnages de la Bible ont eu confiance dans le fait que cela s'accomplirait, et ils savaient que c'était davantage qu'une action: c'était un principe attendant d'être appliqué, une force prête à être employée. Ils ont montré que, même s'il n'avait peut-être pas toujours été facile de pardonner, cela « marchait » en fin de compte.
