Au cours de sa carrière en milieu scolaire, dans le Sud-Ouest de la France, Irène Taillefer a adopté une approche spirituelle pour faire face aux multiples défis qu’elle a pu rencontrer. D’abord enseignante en école maternelle, elle a ensuite assuré la direction d’une école maternelle de sept classes, puis celle d’une école élémentaire de quatorze classes. Maintenant retraitée, depuis un an, elle a répondu aux questions du Héraut sur ce que la prière, ainsi que son expérience, lui ont appris dans le domaine de l’éducation.
Connaissiez-vous le milieu de l’enseignement avant d’y entrer ?
Pas du tout. J’avais été élevée en milieu rural et j’avais un profond désir de découverte. J’étais bonne élève. Alors l’enseignement était la voie tracée pour moi. J’y suis entrée tout naturellement. Rétrospectivement, je suis très reconnaissante d’avoir été amenée vers cette carrière. Au tout début, j’ai rencontré des difficultés, par rapport à ma hiérarchie, et je n’étais pas sûre que je trouverais la satisfaction dans ce travail. Je ne savais pas alors m’appuyer sur la prière, mais j’ai ensuite rencontré la Christian Science, et mon étude de cette Science a remis en question progressivement toute ma façon de voir mon métier.
Et comment avez-vous perçu l’enseignement ?
J’ai été heureuse de découvrir un milieu riche en expérience où on brasse des idées et où on les transmet. J’ai toujours eu des échanges faciles avec les enfants, quel que soit leur âge. Je me suis d’abord orientée vers l’école maternelle parce que je trouvais la communication plus directe avec les petits. Le petit enfant est sans calcul, il est naturellement lui-même. Si ce qu’on lui propose ne lui convient pas, il ne le cache pas, il ne joue pas de rôle. Les relations sont vraies et on est obligé de tenir compte de l’enfant luimême. J’ai vraiment été très heureuse dans ce métier.
Avez-vous toujours gardé cet enthousiasme, ou vous êtes-vous sentie découragée parfois ?
Au début, j’ai eu des postes dans des villages où le travail ne présentait pas de difficulté particulière, mais quand j’ai été nommée à Pau, qui est une assez grande ville, j’ai trouvé une situation complètement nouvelle pour moi. J’enseignais dans un quartier où se côtoyaient des enfants d’origines diverses, la majeure partie d’entre eux venant de pays étrangers. Souvent, les situations familiales de ces enfants étaient compliquées. Beaucoup d’entre eux étaient ce qu’on appelle dans le jargon des «cas sociaux». Il fallait adapter une pédagogie à cette diversité d’enfants pour qu’une classe puisse fonctionner le plus harmonieusement possible et que chacun y trouve son compte pour progresser.
Et ce n’est pas une tâche aisée !
Non, mais c’est là que l’étude de la Christian Science m’a beaucoup apporté. La prière m’a conduite à avoir une meilleure connaissance de l’autre. J’en suis venue à penser que la difficulté ne vient jamais des enfants, mais de la nécessité de développer une faculté de s’adapter à chaque situation, d’être à l’écoute des besoins de chaque enfant. On essaie de proposer des situations où chacun peut se retrouver, quel que soit son vécu. Et on ne peut trouver ces idées que lorsqu’on a une meilleure connaissance de l’enfant. Bien sûr, la psychopédagogie propose cette connaissance, mais elle définit des degrés de l’évolution de l’enfant, selon son âge, son développement, et son vécu. Mon étude de la Bible et de Science et Santé avec la Clef des Écritures de Mary Baker Eddy m’a permis d’avoir une autre optique. Par exemple, je m’appuyais dans mon travail sur la définition de l’enfant à la page 582 de Science et Santé: «Enfants. Les pensées spirituelles et les représentants spirituels de la Vie, de la Vérité et de l’Amour.» Cette définition n’inclut aucune limite. Elle me révélait la véritable nature de l’enfant, son identité spirituelle qui est déjà à maturité, complète.
Ses capacités non plus ne sont pas limitées. Car l’intelligence, dit encore Science et Santé, «est la qualité primordiale et éternelle de l’Entendement infini.» (p. 469) Donc, chaque idée de Dieu, chaque idée spirituelle, possède cette qualité par réflexion et les exprime indépendamment à la fois des apparences, de son historie et des résultats antérieurs.
En m’imprégnant de ces vérités, je comprenais mieux que l’enfant est l’expression complète de l’Entendement, à l’instant même, et je pouvais redonner à mes élèves qui se trouvaient en difficulté de l’affection, de la confiance en eux, de l’assurance, au lieu de les condamner à l’échec. Le fait de les voir autrement, de reconnaître leur nature spirituelle, permet de construire avec eux des situations où leur vécu ne les limite pas. Et l’ambiance de travail dans la classe devient harmonieuse et créative.
Tout au long de votre carrière vous avez eu bien des occasions d’observer de tels changements ?
Tout à fait. J’ai en mémoire des cas d’enfants, agressifs, instables, inhibés, comportements peu propices à mener des apprentissages satisfaisants, et qui se mettaient à évoluer positivement parce qu’une relation de confiance s’instaurait entre nous.
Qu’est-ce qui donnait aux élèves cette confiance ?
Dans ma prière, je savais que tous ces enfants et leurs parents, étaient dans leur nature spirituelle, des enfants de Dieu, tout comme je l’étais. Je pouvais alors faire taire en moi toute sorte de discrimination raciale et culturelle, sachant que leur filialité divine était indiscutable et donnait à chacun la possibilité d’exprimer uniquement les qualités dérivées de leur nature d’enfant de Dieu. Cela m’a permis bien souvent de balayer tous les préjugés que l’on peut avoir sur ces enfants: «Ils viennent de tel endroit, donc ils sont comme ceci, ou comme cela.» Ces théories les auraient enfermés, stigmatisés. Je n’ai donc jamais eu de sentiment de supériorité par rapport à eux ou à leur culture. Le fait qu’ils n’étaient pas jugés, qu’ils savaient qu’on les acceptait et qu’il n’y avait pas de jugement non plus par rapport à leur famille, à leurs parents, cela les libérait. Des enfants non francophones sont un peu perdus au début. Et on voit ces enfants s’adapter à une vitesse incroyable. Je pouvais pleinement apprécier ces progrès et les encourager. Je me souviens, par exemple, qu’on m’avait demandé un jour d’accueillir à mi-temps dans ma classe une enfant venant d’un pays du sud-est asiatique, qui refusait toute communication avec les adultes et les autres enfants. Elle était à ce moment-là dans une école spécialisée d’un hôpital psychiatrique. Ses parents désiraient, bien sûr, qu’elle puisse être acceptée dans une école classique et attendaient de ma part une réponse favorable. Plusieurs questions se posaient à moi: Pouvait-on risquer de donner de faux espoirs aux parents ? Comment cette enfant pourrait-elle s’intégrer à la vie d’une classe déjà chargée et où régnait une activité intense ? Comment ses camarades la percevraient-ils ? J’ai vu que je devais considérer la situation d’un point de vue plus élevé et je me suis d’abord demandé ce qu’était la classe. Est-ce un regroupement de personnalités humaines différentes, qui font les mêmes choses en même temps, avec plus ou moins de bonheur et de réussite ? Est-ce qu’il y a des catégories: parents, élèves, enseignants ? Finalement, la prière m’a appris que la classe était tout simplement un lieu d’expression de l’intelligence divine, et j’ai été certaine que cette enfant y avait sa place. Le rayon de soleil exprime toutes les qualités du soleil, ainsi toutes les idées de Dieu expriment toutes les facultés du seul Entendement. En maintenant ces pensées, j’ai pu constater que la fillette s’intéressait aux activités de la classe, en restant dans son silence tout d’abord, puis, progressivement, qu’elle commençait à jouer avec ses nouveaux camarades, qui l’accueillirent avec beaucoup de gentillesse. Son adaptation fut très rapide et à la fin de l’année scolaire elle a été jugée capable d’intégrer l’année suivante la classe du cours Préparatoire de l’école élémentaire.
Et comment voyez-vous la discipline dans l’enseignement ?
Je pense que l’enfant a besoin de règles, surtout par rapport à cette diversité. Pour le bien de la classe, il est indispensable d’avoir une discipline très claire, et la même pour tout le monde. Là, j’ai dû faire un effort, parce je n’y étais pas trop encline au départ. J’avais moi-même reçu une éducation sévère et j’aurais eu tendance à plus de laxisme. Mais il faut être exigeant avec les enfants. L’étude de la Christian Science m’a beaucoup aidée dans ce sens, car elle apprend à être exigeant avec soi en premier lieu. Mary Baker Eddy écrit dans Science et Santé: «Les enfants devraient obéir à leurs parents; l’insubordination est un mal qui flétrit les germes du gouvernement de soi-même.» (p. 236) J’ai trouvé que ces préceptes éducatifs destinés aux parents étaient tout aussi valables pour moi en tant qu’enseignante. J’avais pour objectif d’exiger rigueur et obéissance de la part de mes élèves, car c’étaient les conditions nécessaires pour leur apprendre à évoluer dans le respect de leur véritable nature.
Quel est le secret finalement pour obtenir qu’un enfant participe ?
Le secret, je crois que c’est vraiment la rigueur. Sa propre attitude: si on arrive découragé, on a du mal à prendre sa classe en main. D’autre part, les enfants perçoivent instinctivement l’amour qu’on leur porte. Le secret, c’est que les enfants comprennent très vite que l’adulte qui est en face d’eux les considère et ne les méprise pas. Ils apprécient la rigueur et ils perçoivent que c’est leur bien que l’on veut. Cela les amène à faire des progrès et ils aiment beaucoup faire des progrès. Cela les rend heureux.
La rentrée scolaire 2005-2006 va avoir lieu prochainement. Elle est souvent l’occasion d’angoisses diverses pour les élèves, pour les parents, et parfois aussi pour les enseignants. Que peuton penser dans une telle période ?
La nouveauté est souvent quelque chose qui déroute. La façon dont on présente le cursus scolaire avec ruptures, changement d'’école, examens en perspective, etc. peut amener les enfants, et les adultes, à être très inquiets dans ces moments-là. Comprendre qu’on est sous le gouvernement divin m’a été d’une grande aide. Avoir l’idée que notre motivation est simplement d’obéir à Dieu, cela nous libère de l’anxiété. Finalement, nous n’avons qu’une seule chose à faire: le bien.
L’étude et la prière m’ont appris aussi que nous sommes dans une situation de continuité en tant qu’idées spirituelles qui manifestent à chaque instant les qualités divines, et qu’il n’y a donc pas de rupture en réalité. Pendant ces périodes de transition, je remplaçais l’idée de rupture par l’idée de déroulement, de déroulement du bien. Nous vivons, non une histoire matérielle avec un avant, un après, mais un éternel présent avec son déroulement spirituel et harmonieux. Voilà ce qui m’a beaucoup aidée, surtout lorsque j’ai pris de nouveaux postes à responsabilités. Cette idée de déroulement, c’est ce qui m’a soutenue tout au long. Et cela peut aider les enfants face à la rentrée.
Continuez-vous à avoir des rapports avec l’éducation maintenant que vous êtes à la retraite ?
Oui, j’ai des rapports avec mes anciens élèves. Je suis aussi sollicitée pour aider à encadrer des classes lors de sorties scolaires. Et puis j’ai des contacts avec des enseignants sur le plan pédagogique, ce qui me permet de faire part de mon expérience et de l’inspiration que je continue de recevoir. La prière ne cesse de me prouver que finalement le véritable enseignement vient de Dieu, l’on reste toujours ouvert à de nouvelles possibilités d’apprendre et de transmettre ce qu’on apprend. Après plus de trois décennies dans l’enseignement, je peux dire que ces années se sont écoulées sans lassitude, je n’ai jamais eu de sentiment de routine, mais j’ai toujours pu manifester au contraire de l’enthousiasme pour les idées, les projets, les solutions à trouver. Et, comme je disais, cette expérience se poursuit. Là aussi, il y a continuité !
    