La Bible est remplie de récits mettant en scène des personnages qui appartiennent à toutes les couches sociales: de celui qui est riche et important à celui qui est pauvre et rejeté. Ces récits ont été inclus dans la Bible en raison de leurs messages spirituels de courage, d’espoir, de guérison, et des directives qu’ils donnent pour survivre et progresser.
Ce fait est illustré par deux histoires qui s’entrelacent: celle de Jaïrus, chef de la synagogue et homme haut placé, et celle de la femme souffrant d’une perte de sang, devenue intouchable en raison de cette hémorragie qui durait depuis des années.
En construisant leur narration, les auteurs bibliques choisissaient parfois de recourir à des procédés particulièrement appréciés à l’époque. Dans le cas de cette histoire, l’auteur a utilisé un procédé qui consiste à insérer un récit dans un autre. L’histoire de Jaïrus, qui est le récit principal, est interrompu par l’histoire de la femme. Puis l’histoire de départ reprend et se termine.
Le choix de l’auteur biblique reproduit peut-être la tradition orale. En effet, les récits bibliques étaient, pour la plupart, racontés oralement avant d’être écrits. Dans ces cas-là, le narrateur pouvait présenter au lecteur un message élargi en se servant de la force des deux récits combinés afin d’en faire ressortir les différences.
L’histoire de Jaïrus et celle de la femme qui souffrait d’une perte de sang sont racontées dans les Évangiles selon Matthieu (9:18–26), Marc (5:21–43) et Luc (8:40–56). Les trois utilisent le procédé de l’insertion. Toutefois, la narration de Marc a tout du récit d’un témoin oculaire. Ainsi que l’explique l’Anchor Bible: « La description des peurs de la femme, la réaction impatiente des disciples et le portrait de Jésus lui-même, tout contribue à créer un récit vivant et fort, rapporté en détail par un témoin oculaire. » C.S. Mann, The Anchor Bible, Vol 27A, Mark, A New Translation with Introduction and Commentary (New York: Doubleday and Company, 1986), p.284. Associée à l’épisode de Jaïrus, l’histoire de la femme racontée par un témoin prend vie.
Dans le récit de Marc, l’histoire principale commence lorsque Jaïrus se précipite vers Jésus pour lui demander de venir immédiatement secourir sa fille. (Les trois Évangiles ne concordent pas quant au fait de savoir si l’enfant était déjà morte ou si elle était très malade et mourante.)
Alors que Jésus se rend chez Jaïrus, la deuxième histoire commence. En chemin, Jésus est arrêté par une foule qui le presse de tous côtés. La femme atteinte de la perte de sang se trouve dans cette foule. Elle pense qu’en touchant simplement le bord du vêtement de Jésus, elle sera guérie. Malgré les tentatives des disciples pour écarter la foule de Jésus, la femme parvient à le toucher. « Au même instant la perte de sang s’arrêta, et elle sentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. »
Jésus est immédiatement conscient du besoin de cette femme et pose la question: « Qui a touché mes vêtements ? » Les disciples lui rappellent qu’il est bousculé par la foule, mais il répète avec insistance que quelqu’un en particulier lui a demandé de l’aide. Découverte, la femme, à présent prosternée aux pieds de Jésus, se fait connaître. Il la complimente pour sa foi et confirme qu’elle est guérie.
Reprenant le premier récit, l’auteur revient à Jésus se rendant chez Jaïrus. Les amis de ce dernier lui disent que la présence de Jésus n’est plus nécessaire parce que sa fille est morte. Ce à quoi Jésus répond: « Pourquoi faites-vous du bruit, et pourquoi pleurez-vous ? L’enfant n’est pas morte, mais elle dort. » Les amis « se moquaient de lui ». Jésus leur ordonne de partir, ne prenant avec lui que les parents et les disciples. Il rend l’enfant de douze ans à la vie en lui donnant cet ordre: « Jeune fille, lève-toi, je te le dis. » Tout le monde est stupéfait de voir l’enfant se lever et se mettre à marcher.
Les différences qui existent entre Jaïrus et la femme révèlent un grand nombre de choses. Jaïrus porte un nom important qui signifie en hébreu « il éclairera ». Par contre, on ne nous donne pas le nom de la femme. Ce fait souligne immédiatement la grande différence de statut social entre les deux personnages principaux. Jaïrus est le président des fidèles de la synagogue, un homme d’une certaine notoriété, estimé de ses amis. Il a une maison, une famille qui l’aime, un poste élevé, il est riche et puissant.
Souffrant d’une perte de sang, la femme est mise au ban de la société, perpétuellement impure selon les rites de la tradition religieuse (voir Lév. 15:19–30). On craignait beaucoup les problèmes d’hémorragie à cette époque, et il est intéressant de noter qu’on craint toujours aujourd’hui le contact avec le sang d’une autre personne, même si les en sont différentes. Conformément à la loi religieuse, la femme vivait en dehors de la communauté. Donc depuis douze ans, elle n’avait plus de contact physique avec quiconque, pas même une marque d’affection. Si elle était mère de famille, elle ne participait plus à la vie de ses enfants.
Jaïrus fait preuve d’humilité alors qu’il est un personnage important, et la femme dépasse son statut de paria pour se prosterner devant Jésus.
Il est très possible que Jaïrus, qui était un leader du temple, ait eu charge de faire respecter cette loi même qui interdisait à cette femme de participer aux rites du temple. La fille de Jaïrus était physiquement morte, mais la femme malade était socialement morte.
La façon dont chaque personnage aborde Jésus est aussi très instructive. Jaïrus s’approche de lui avec hardiesse, ouvertement, entouré de ses amis. Il est probable que la foule et les disciples se soient écartés pour le laisser passer. Pourtant, c’est avec humilité que Jaïrus s’agenouille aux pieds de Jésus pour lui demander de venir chez lui guérir sa fille. Il demande une visite immédiate et suggère même le traitement à administrer: l’imposition des mains à l’enfant. A ses yeux, il s’agit là d’une urgence.
La femme vient non accompagnée, cachée au milieu de la foule afin de ne pas se faire remarquer; dans son état elle commettrait une grave offense si elle touchait un saint homme. Ainsi que l’explique le Women’s Bible Commentary: « Son acte était donc audacieux à double titre: violation des codes sociaux réglementant le comportement des femmes et violation de la loi religieuse. » Carol A. Newsom et sharon H. Ringe, eds., Women’s Bible Commentary (Louisville, Kentucky: Westminster John Knox Press, 1998), p.355. Elle ne souhaite pas parler à Jésus; elle pense qu’elle sera guérie en touchant simplement son vêtement.
C’est l’un des rares récits du Nouveau Testament où Jésus ne prend pas une part active à la guérison, ce qui est très différent de la demande de Jaïrus. En ce qui la concerne, ce n’est pas une urgence. Apparemment, cela fait douze ans qu’elle va de médecin en médecin, à la recherche d’un soulagement, et ce, bien avant que Jésus commence son ministère de guérison. Elle était peut-être à bout, d’un point de vue émotionnel, mais elle n’avait pas à craindre une mort imminente. Même lorsque Jésus veut savoir qui elle est, ses disciples tentent de l’écarter en tant qu’individu. Ils pensent qu’elle fait juste partie de la foule.
Ces différences entre Jaïrus et la femme accentuent la portée de l’histoire et conduisent le lecteur à saisir les nombreuses nuances du message pourtant, accompagnant ces différences, il y a une cause commune, un chemin qu’ils suivent l’un et l’autre. En effet, à la recherche de la guérison, ils se rejoignent à différents niveaux. L’argent est un élément de l’histoire. Apparemment, Jaïrus est riche et la femme avait de l’argent à un moment donné, mais a été réduite à la misère. Les deux s’agenouillent aux pieds de Jésus en toute humilité, et ils le font malgré de nombreux obstacles mentaux. Jaïrus fait preuve d’humilité alors qu’il est un personnage important, et la femme rassemble son courage et dépasse son statut de paria pour se prosterner devant Jésus. En l’appelant « Ma fille », Jésus lui rend un statut l’autorisant à avoir une famille et à vivre dans la communauté.
Marc n’explique pas comment Jaïrus connaissait Jésus, mais fait observer que la femme avait « entendu parler de » lui. Tous deux sont prêts à s’en remettre à un prédicateur itinérant qui accomplit des guérisons. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit là d’un acte de foi, même si l’on tient compte du désespoir dans lequel ils sont plongés. Et tous deux sont guéris. Malgré leur différence de statut social, il leur est accordé ce qu’ils recherchent.
La bénédiction de Jésus, « va en paix », fournit peut-être un point de comparaison final, une dernière touche. « Le mot “paix” ne se trouve que dans le récit de Marc. Le mot hébreu Shalom signifie perfection, bonne santé, et non pas seulement l’absence de lutte comme l’implique la traduction. » Anchor Bible, Vol. 27A, P.286. Et c’est ce sens plus large de shalom que Jaïrus et la femme, malgré leurs nombreuses différences, ont ressenti lorsque Jésus a transformé leur existence d’une manière qu’ils n’oublieraient jamais.
