Marc, ou la puissance des œuvers de Jésus proclamée
Il n'était pas facile d'être chrétien en ce temps-là. Une trentaine d'années après la crucifixion et la résurrection de Jésus, persécuter ceux qui prêchaient la bonne nouvelle faisait officiellement partie de la politique de Rome. Il était courant de voir des chrétiens emprisonnés, jetés aux lions, poursuivis par des foules hostiles. Dans de telles circonstances, même les plus fidèles auraient contesté la nécessité de souffrir pour leurs croyances.
Heureusement pour eux, et pour les chrétiens des siècles à venir, l'un de ces fidèles a décidé de raffermir sa communauté harassée par un nouveau support: un récit écrit de la vie et du ministère de Jésus. Ce que nous connaissons maintenant comme l'Évangile de Marc — le premier des quatre évangiles à avoir été mis par écrit — insiste tout particulièrement sur les persécutions endurées par Jésus et sur les épreuves que devraient sûrement affronter ceux qui allaient le suivre. Cet ouvrage avait pour objet de «guider et soutenir ses frères chrétiens dans une situation de crise aiguë.» The Interpreter's Bible (New York: Abingdon- Cokesbury Press, 1952-1957), Vol. VII, p. 633-634.
Selon la tradition, l'auteur de ce livre fondateur était un homme du nom de Jean-Marc, cousin de Barnabas, mentionné dans le Nouveau Testament comme compagnon de Paul et Barnabas au cours de leurs voyages missionnaires (voir Actes 12:25 et 15:37-39). La mère de Marc, Marie, offrait sa maison comme lieu de réunion aux premiers chrétiens (voir Actes 12:12).
Un ancien exégète a soutenu que Marc était l'interprète de Pierre et que les souvenirs de ce dernier avaient servi de base à son évangile; cependant, de nos jours, les spécialistes récusent l'idée que les écrits de Marc aient pu provenir d'une source unique. Ils croient au contraire que ces écrits rapportent la tradition orale enseignée sur Jésus à Rome au milieu du Ier siècle, époque à laquelle Marc écrivit son récit.
On pense que Marc n'a pas été un témoin oculaire de l'œuvre de Jésus, et qu'il n'était peut-être pas juif. En effet, il ne met pas l'accent sur les prophéties de l'Ancien Testament concernant la venue du Messie, et on a relevé des erreurs dans certains détails qu'il donne sur les lois et coutumes juives. Voir lbid. En revanche, il se concentre sur des problèmes qui auraient été d'une importance cruciale pour un public chrétien romain. Il met davantage en relief les actes que les mots. Marc passe pratiquement sous silence les enseignements de Jésus, qui sont au premier plan dans les récits de Matthieu et de Luc, préférant mettre l'accent sur les œuvres du Maître. De fait, bien que cet évangile soit le plus court des quatre, les miracles y sont décrits avec bien plus de détails que ne l'a fait aucun autre évangéliste. Comme l'a exprimé un spécialiste, l'Évangile de Marc est celui de «la puissance des œuvres de Jésus.» Ibid., p. 640.
Dans la description de Marc, Jésus est un homme d'action sans faiblesse, qui exerce une autorité inégalée sur les forces terrestres. Il chasse les démons, calme les tempêtes, guérit les malades et ressuscite les morts. Ces événements sont présentés avec un grand sens d'immédiateté: le temps n'est mesuré qu'en jours et en heures; la plupart des choses se produisent «aussitôt», «à l'instant», termes qui étaient de nature à frapper le lecteur romain, tourné vers l'action. Selon un critique, l'intention de l'auteur était de renforcer la croyance des premiers chrétiens, selon laquelle «Jésus est le Fils de Dieu, plein de force, dont "les œuvres puissantes" peuvent être reproduites, et elles le sont toujours, sans aucun doute, parmi ceux qui le suivent.» Ibid., p. 633.
En revanche, ces œuvres n'arrivent pas sans épreuves. Le Jésus de Marc est incompris de pratiquement tout son entourage, y compris de ses propres disciples et, presque dès le début, Marc suggère que ce sont la condamnation et la crucifixion qui, au bout, attendent Jésus.
Ce sacrifice sera néanmoins récompensé: Jésus annonce à ses disciples que même si des jours de grande tribulation les attendent, ils seront suivis par l'arrivée du «Fils de l'homme venant sur les nuées avec une grande puissance et avec gloire» (Marc 13:26) pour sauver l'humanité. Or, ceux qui croient en lui doivent être désireux de suivre son exemple et de supporter la persécution en réponse à leur travail de missionnaires.
Car, ainsi que l'a écrit Marc, même «le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs.» (Marc 10:45)
Matthieu, ou le héraut du Messie
Il ne se faisait sans doute pas beaucoup d'amis avec ce travail, mais il était bien payé. Il voyait passer beaucoup de fermier et d'artisans de la région, qui apportaient leur production au marché, ainsi que des caravanes transportant des marchandises entre l'Égypte et l'Orient. Au péage près de Capernaüm, sur la route qui mène de Damas à la Méditerranée, Matthieu (parfois appelé Lévi), avait le droit de percevoir une taxe de quiconque empruntait cette voie.
Mais un jour se présenta un homme pas comme les autres. Quelqu'un dont les «marchandises» n'étaient pas soumises à l'impôt. Ni marchand ni artisan ni fermier, ce voyageur guérissait. Son nom était Jésus de Nazareth.
Jésus ne salua pas ce collecteur de taxes à contrecœur. Il lui dit: «Suis-moi.» (Matth.9:9) Et, malgré sa position éminente et les richesses qu'il devrait sans nul doute sacrifier, Matthieu suivit Jésus, devenant l'un de ses douze disciples.
On en sait très peu sur Matthieu, en dehors des différentes versions du moment de sa conversion, qui apparaissent aussi dans les Évangiles de Marc et de Luc. Son rôle d'écrivain donne même lieu à des conjectures. Des éléments de preuve cependant donnent à penser qu'il est bien l'auteur du livre du Nouveau Testament qui porte son nom.
Matthieu, Juif écrivant pour ses coreligionnaires, veut être sûr que son public comprenne qui est réellement Jésus. «C'est le Messie promis», ne cesse de leur répéter Matthieu. «C'est celui que nous avons attendu durant toutes ces années». L'attention que Matthieu porte à l'ascendance de Jésus, ajoutée aux références réitérées à la prophétie, font sentir au lecteur l'importance historique de Jésus, et donnent à ce dernier une dimension plus grande que simplement celle du personnage principal de cette histoire de l'Évangile.
D'une part, le récit de Matthieu décrit Jésus comme l'enseignant et le guérisseur, dont les paroles et les œuvres constituent un livre en forme de biographie; d'autre part, cet ouvrage traite de Jésus comme du Messie d'Israël, dont la vocation et le ministère «résument et concrétisent toute l'histoire de Dieu et du peuple d'Israël» David Noel Freedman, ed., Eerdmans Dictionary of the Bible (Grand Rapids, Michigan: William B. Eerdmans publishing Co., 2000), p.872.. Par d'incessantes citations et allusions, il se réfère à l'Ancien Testament et contribue ainsi à donner le sentiment que l'histoire de Jésus est l'accomplissement d'une prophétie.
Ses multiples titres remplissent la même fonction: en plus de celui de «Messie», qui est implicite, Jésus apparaît dans cet évangile sous différents noms, dont ceux de «Fils de David», «Fils de Dieu», «Fils de l'homme». Il est aussi celui «qui sauvera son peuple de ses péchés.» (Matth.1:21) Matthieu appelle Jésus «Emmanuel» ou «Dieu avec nous» tant au début de l'évangile qu'à la fin, bien que la dernière référence soit moins explicite (Matth. 1:23 et 28:20). Ainsi que l'a expliqué un commentaire biblique, «pour Matthieu, conclure l'évangile par cette identification suggère qu'on peut interpréter toute l'histoire comme une explication du sens de cette appellation.» Ibid., p. 873.
Or, en dépit des nombreux titres que porte Jésus, son rôle et sa mission sont souvent incompris par des personnages gravitant dans le récit de Matthieu. En fait, tout au long de l'évangile, seuls ceux qui possèdent la foi comme «les petits» et «les plus petits» — les enfants, les femmes et les disciples — sont capables de discerner quelque chose de la véritable identité de Jésus.
L'accent mis par Matthieu sur l'humilité ne doit probablement pas nous surprendre, étant donné que c'est dans ce livre qu'apparaît la promesse de Jésus: «Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux !» (Matth. 5:3; voir également Luc 6:20) En effet, s'il est une chose que peut offrir cet évangile, c'est bien la compréhension de ce qui est nécessaire pour trouver le royaume des cieux. Pour tous ceux qui désirent se revêtir d'un esprit d'humilité, la récompense est double: tout comme les contemporains de Jésus, ils percevront une lueur de la véritable nature du Messie et ce faisant, ils s'apercevront également que le royaume des cieux, comme Jésus l'a promis à ses auditeurs, «est proche».