Si les gens dans la foule y avaient prêté plus d'attention, ils auraient remarqué quelque chose d'étrange. Jésus venait juste de guérir la main «sèche» d'un homme (voir Matthieu 12:10-13), sans avoir aucune connaissance de ce qui avait pu causer cette situation. Était-ce le résultat d'un accident, d'une maladie, d'un défaut congénital, de l'hérédité? C'est une chose que Jésus n'a jamais demandée, et apparemment, cela n'était pas nécessaire.
Cette guérison relatée dans le Nouveau Testament n'est qu'une parmi tant d'autres. Jésus guérissait sans demander d'où venait la personne, quelle était la cause de son grave problème physique, ni ce qu'avait pu être sa conduite dans le passé. Selon toute apparence, pour Jésus, la connaissance du présent primait largement sur celle du passé. Comment Jésus aurait-il pu savoir quoi que ce soit sur des gens qu'il venait juste de rencontrer ou qu'il connaissait à peine? Il devait percevoir quelque chose de plus profond que le moi humain: l'identité, spirituelle et réelle, de chaque personne, quelle que soit son histoire personnelle. Comme le révèlent les quatre Évangiles, cette tendance naturelle à identifier les gens d'après leur spiritualité présente, plutôt que de considérer leur passé humain, permettait à Jésus de guérir des états graves.
Quelle que soit la spécificité de la difficulté rencontrée, il apparaît que Jésus guérissait régulièrement avec la même méthode. Par exemple, lorsqu'il rencontrait des gens accusés d'une conduite immorale, Jésus n'avait pas pour habitude de les questionner à propos de leurs erreurs passées. Au contraire, il apparaissait plus déterminé à tout simplement les aider à se libérer du péché.
En une occasion particulière, alors que Jésus dînait avec un pharisien très en vue appelé Simon (voir Luc 7:36-50), une femme que l'on décrit simplement comme «une pécheresse» est entrée dans la maison de Simon.
Apparemment, elle désirait être libérée de son péché, car ses actes indiquaient une grande humilité: elle se tenait aux pieds de Jésus et pleurait, puis elle a séché les pieds de Jésus avec ses cheveux et les a oints de parfum.
Simon était surpris qu'un prophète comme Jésus ne sache pas «de quelle espèce» était la femme qui l'avait touché. Que Jésus n'ait rien su de son passé et qu'il n'en ait eu cure, cela la Bible ne le dit pas. Mais la conclusion que Jésus en a tiré est que cette femme méritait d'être pardonnée et d'être libérée de ses péchés. Pourquoi? Parce que, selon Jésus, «elle avait beaucoup aimé».
Jésus n'a pas demandé à cette femme de se confesser; il n'a pas exigé qu'elle revienne sur ses fautes. A travers ses pensées et ses actes présents, elle avait été trouvée digne de pardon pour sa conduite passée. Et Jésus a dû sans doute prendre conscience de cette innocence fondamentale. Après avoir déclaré qu'elle était pardonnée de ses péchés, il lui a dit: «Ta foi t'a sauvée, va en paix», bénédiction qui signifiait non seulement que ses transgressions passées avaient été pardonnées, mais aussi qu'elle était guérie de sa conduite «pécheresse».
Si Jésus a démontré qu'un passé de péché n'affecte pas la possibilité qu'a une personne de s'en libérer, peut-on en dire autant des problèmes physiques? A de nombreuses occasions, Jésus n'a tenu aucun compte des informations relatives à la durée de la maladie ou à sa cause. Il s'est un jour approché d'un homme malade depuis trente-huit ans (voir Jean 5:2-9). L'homme était couché près d'une piscine, attendant que quelqu'un l'aide à entrer dans l'eau lorsque celle-ci serait agitée. Les nombreux malades qui se pressaient près de la piscine croyaient en effet que l'eau pourrait les guérir.
Lorsque Jésus a demandé à l'homme: «Veux-tu être guéri ?», l'homme lui a répondu en donnant toutes les raisons pour lesquelles il ne pouvait l'être, des raisons reflétant la manière dont il se voyait, c'est-à-dire invalide de longue date. Bien que le récit dise que Jésus savait que l'homme était affligé de cette maladie depuis un certain temps, il ne l'a pas questionné à propos de son passé. A nouveau, il a fait le choix opposé, en se concentrant sur le présent: le désir de cet homme d'être guéri, en dépit de la nature ancienne de la situation.
A ce point du récit, Jésus a adressé une injonction surprenante à cet homme: «Lève-toi, prends ton lit, et marche.» Il semble que l'homme ait compris ce que Jésus voulait dire, car à l'instant même, il a été guéri. On peut se poser des questions sur les autres hommes attendant près de la piscine, qui devaient avoir été témoins de cette remarquable guérison. Ont-ils eux aussi appris que l'histoire de leurs afflictions passées ne correspondait pas avec la promesse présente qu'ils pouvaient être guéris?
Peut-être les afflictions les plus décourageantes sont-elles celles qui ont affecté des gens depuis leur naissance. Jésus a rencontré également ces situations. A un certain moment, il a même fait face à la question de savoir ce qui avait causé la cécité d'un homme aveugle de naissance (voir Jean 9:1-38). Ses disciples ont posé la question: «Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?»
Jésus, cependant, a réprouvé la question. «Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché», a-t-il expliqué. En fait, Jésus a non seulement refusé d'engager la discussion sur la cause de la cécité, mais il a affirmé, catégoriquement, que le péché n'était pas la cause. Puis il a dirigé l'attention de ses disciples sur ce qui importait réellement dans cette situation: «C'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui.» Puis Jésus a appliqué de la boue sur les yeux de l'aveugle. Et, comme pour symboliser la totale régénération de cet homme dans une vie qu'il n'avait jusqu'ici jamais connue, Jésus l'a envoyé se laver à un réservoir afin qu'il se débarrasse de cette boue. Au grand étonnement de ses parents, de ses voisins et des autorités religieuses, l'homme a été complètement guéri.
Une chose que l'on peut relever dans le refus de Jésus de considérer le passé, c'est la constance dont il faisait preuve à cet égard. Le nombre de fois où il s'est détourné de l'histoire passée d'une personne indique avec force qu'il n'a pas simplement oublié de demander de tels détails; sa méthode de guérison ne requérait pas la connaissance de ces faits. A un niveau très pratique, Jésus a démontré la plus profonde compassion en refusant de confronter ceux qui souffraient à un flot de souvenirs pénibles. Son approche de la guérison consistait au contraire à détourner les gens du passé, encore et encore, et à centrer leur attention sur leur identité présente: non sur l'héritage humain, la personnalité, l'état physique, mais sur leur véritable identité spirituelle. Apparemment, Jésus voyait cette identité comme impeccable, pure et complète. C'est là le message évangélique le plus puissant qui soit.