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Article de couverture

REGARD SUR L’ACTUALITÉ

Dieu au tableau noir

Tiré du Héraut de la Science Chrétienne de mai 2002


Depuis les attentats antiaméricans du 11 septembre 2001, la nécessité d’expliquer le fait religieux à l’école s’est imposée aux enseignants comme à leur ministre. Y parvenir en respectant la laïcité ne sera pas une mince affaire.

Tous les profs le disent: il faut expliquer, et encore expliquer, pour déjouer les pièges d’un manichéisme facile. Au lendemain des attentats du World Trade Center, Jérôme Bimbenet, prof d’histoire dans un collège ultrasensible de Seine Saint-Denis, a dû répondre, comme beaucoup de ses collègues, à une avalanche de questions. « Mes élèves musulmans craignaient d’être montrés du doigt, raconte ce jeune enseignant. Ils voulaient que je démontre aux autres que l’islam est une religion tolérante. J’ai repris des extraits du Coran, en essayant de faire comprendre à ma classe qu’on ne pouvait pas faire la même lecteure de ce texte aujourd’hui qu’en 632. » En ce début de millénaire fanatisé, l’école peut-elle encore se draper dans une laïcité militante et refuser d’inculquer aux élèves toute culture religieuse ?

Elle a, au contraire, plus que jamais son rôle à jouer dans le décryptage des phénomènes religieux, estime Jack Lang. A quelques jours de Noël, le ministre de l’Éducation nationale vient de confier au philosophe Régi s Debray, auteur d'une remarquable essai – Dieu, un intinéraire (Odile Jacob) – une mission sur la « place dévolur à l’enseignement du fait religieux ». Copie à rendre le 15 mars prochain. [...]

Une approche impressionniste

Il a fallu attendre 1996 pour que l’école publique concède aux questions religieuses une place spécifique dans ses programmes. Les chapitres de l’islam, des Hébreux et de la naissance du christianisme sont désormais développés en histoire au collège. Les lycéens des classes de seconde générale ont le choix entre la chrétienté et la Méditerranée du XIIe siècle. Les collégiens de sixième s’initient aux grands textes sacrés en cours de français. A l’école primaire, enfin, les nouveaux programmes, applicables à la rentrée prochaine, mentionnent l’Europe des cathédrales ou l’origine religieuse des calendriers. Impressionniste, l’approche française contraste avec celle de la plupart de nos voisins européens, qui considèrent l’enseignement du fait religieux comme une discipline à part entière – sans toujours distinguer la catéchèse du message culturel stricto sensu. En Allemagne, par exemple, les cours sont tout bonnement assurés par des prêtres ou des pasteurs. Une formule inconcevable en France, où l’idée même d'une « heure laïque de culture religieuse » a été unanimement écartée au début des années 90. Trop épineux: « La séparation conflictuelle de l’Église et de l’État français a laissé des traces, souligne Mireille Estivalèzes, chercheuse à l’École pratique des hautes études. Les religieux soupçonnent toujours les profs de faire le lit de l’athéisme, et les enseignants redoutent le prosélytisme. »

La laïcité des péres fondateurs de l’enseignement public n’était pourtant pas aussi rigide qu’on le croit. « On se dira que, pour l’éducation d’un enfant qui doit devenir homme [...], il sera bon qu’il ait feuilleté, comme Michelet, toutes les Bibles de l’humanité », écrivant en 1908 Ferdinand Buisson, l’un des grands porte-drapeaux de l’idéal ferryste. A partir des années 60, la culture religieuse – catholique et protestante – a peu à peu été évacuée des classes et des manuels sous l’effet de la déchristianisation. [...] « Nous avons cru, à tort, que le reflux du christianisme signifiait l’avènement d’un homme sans croyance, purement rationnel », analyse le philosophe Guy Coq, auteur, avec Isabelle Richebé, de Petits Pas vers la barbarie (Presses de la Renaissance). La montée des revendications identitaires dans l’enceinte scolaire, amorcée avec le foulard, en 1989, a fait rejaillir la question de la symbolique religieuse et de son déchiffrage dans le cadre cartésien de la laïcité. Menus sans porc à la cantine, dispenses de cours pour les fêtes de Yom Kippour... « Qu’on le veuille ou non, l’école n’est plus fermée, insiste Philippe Joutard. Lorsqu'un musulman refuse de manger du porc, les élèves se posent des questions. Il faut leur répondre. »

Un article de L’Express sur l’instruction religieuse à l’école.

La culture générale des potaches ne peut qu’y gagner. En 1989, le même Philippe Joutard avait secoué l’opinion publique en révélant l’ignorance crasse des jeunes dans un rapport – le premier du genre – sur l’enseignement de l’histoire des religions. Une anecdote, rapportée par le proviseur d’un grand établissement parisien, circulait alors de bouche en bouche: des élèves en option arts plastiques avaient confondu le martyr saint Sébastien, représenté en peinture, avec un Indien transpercé par les flèches mortelles des cow-boys du Far West. Une bonne décennie plus tard, le tableau n’est guère plus flatteur. « Certains élèves ne savent pas qui est la Vierge », constate Philippe Joutard. Ni ce que Noël signifie dans l’esprit chrétien, au-delà des cadeaux et des sapins enguirlandés, renchérissent certains enseignants. Jésus s'en sort-il mieux ? « Ce n’est pas dit », lâche Jean-Michel Arviet, prof d’histoire dans un collège du Val-de-Marne. Les jeunes ne demandent pourtant qu’à apprendre: d’après un sondage CSA publié en novembre dernier, 57% des 15–18 ans sont favorables à un « enseignement des religions dans les programmes ». De toutes les religions, et pas seulement des trois monothréismes. La proportion est la même pour l’ensemble des Français – parents compris – comme le montre un autre sondage, réalisé l’an dernier.

Faut-il aller plus loin ? « Une laïcité bien comprise, respectueuse de la liberté de conscience de chacun, doit évoquer tous les positionnements spirituels, croyants ou non », assure l’enseignant Christian Defebvre, directeur de l’Institut de recherche et de formation pour l’éducation à la citoyenneté. A priori, nul ne trouve à redire à cette conception ouverte de la laïcité. Pas plus qu’a la nécessité de mieux parler du fait religieux dans les arts et la philosophie ou à celle d’améliorer la formation des enseignants – dont la préparation, pour ces sujets, se résume à un module optionnel de quelques heures. « La religion est un terrain terriblement mouvant, explique Jean-Michel Arviet. Lorsque j’apprends à mes élèves que l’Ancien Testament est le Livre commun aux trois monothéismes, les musulmans peuvent comprendre que je place la Bible avant le Coran. Il faut sans cesse leur rappeler qu'on ne fait pas de la catéchèse. » En revanche, modifier les programmes ou traiter du fait religieux à l’époque contemporaine – les lycéens de première professionnelle le font déjà à partir de 1850 – soulève de farouches objections. Chez les enseignants d’histoire et chez les républicains militants. « Ce serait ouvrir la voie à des interprétations dangereusement subjectives, à l’heure où l’école publique est menacée par le communautarisme », s’alarme ainsi Nicolas Dupont-Aignan, député RPR de l’Essonne. Les religieux, eux aussi, prêchent volontiers l’immobilisme. Mgr Michel Dubost, secrétaire de la commission épiscopale chargée de la catéchèse, redoute une « folklorisation de la foi traitée cornme objet social ». Tareq Oubrou, président des imams de France, craint les « manipulations idéologiques en faveur d’un islam sécularisé ». Régis Debray le dit lui-même: il devra « marier l’eau et le feu ». Une tâche démiurgique.

(©copyright L’Express international, semaine du 20 au 26 décembre 2001)

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