Les prophètes bibliques se considéraient comme les porte-parole de Dieu. Moîse, cet homme aux talents multiples, était leur exemple. « L'Éternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. » (Exode 33:11) Des prophètes comme Samuel, Élie et Élisée faisaient preuve d'une grande sévérité spirituelle et d'indépendance; et les livres des prophètes Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel livrent leurs visions inspirées dans un torrent de ferveur.
La tradition prophétique constitue l'une des caractéristiques les plus riches des Écritures hébraïques. J'ai connu un professeur qui aimait souligner que les prophètes ne mâchent pas leurs mots. S'ils annoncent parfois les événements à venir, ils parlent toujours sans détour. Même lorsque tout est contre eux, ils n'hésitent pas à proclamer leur message.
Il est fort possible qu'aucun recueil de révélations prophétiques ne renferme autant de franc-parler spirituel – et de paroles tonitruantes – que les écrits des « prophètes mineurs » qui constituent les douze derniers livres de l'Ancien Testament. Ces écrits contiennent à la fois des adjurations universelles et un langage qui fait sans cesse référence au contexte situationnel de l'époque. Ces prophètes sont apparus sur le devant de la scène lors de trois moments critiques dans l'histoire du peuple hébreu: 1) la crise assyrienne du VIIIe siècle av.
J.-C., qui provoqua l'effondrement de la moitié de la patrie des Hébreux, celle qu'on appelait alors le royaume du Nord, ou Israël; 2) la montée en puissance de Babylone et l'exil babylonien, au VIe siècle av. J.-C. qui entraîna la conquête de Juda, le royaume du Sud, et la déportation de ses dirigeants et notables; 3) et enfin la période postexil, de la fin du VIe siècle à la fin du Ve siècle av. J.-C., lorsque les Hébreux reconstruisirent Jérusalem sous l'empire perse.
Même avec ces quelques données historiques, la lecture des prophètes mineurs n'est pas simple. Il faut comprendre qu'ils écrivaient en des temps de grande détresse, et qu'ils pensaient que la survie de leur peuple était en jeu. Leurs dénonciations retentissent tout aussi puissamment que les grondements de tonnerre de Jérémie, lequel était sans doute contemporain d'au moins deux des prophètes mineurs. L'un d'entre eux, Abdias, a laissé un court texte de sa « vision ». Le livre d'Abdias récompense le lecteur persévérant.
La persévérance est nécessaire, non pas à cause de l'épaisseur de ce petit livre – c'est le plus mince de l'Ancien Testament – mais parce que le point de vue d'Abdias semble au premier abord très particulier, voire étrange. Il énonce clairement un jugement à l'encontre du peuple d'Édom. Il serait difficile de faire des reproches au lecteur qui ne voit guère l'intérêt pour lui de tels propos ! Assurément, Abdias ne craint pas de s'exprimer haut et fort: « Quand tu placerais ton nid aussi haut que celui de l'aigle, quand tu le placerais parmi les étoiles, je t'en précipiterai, dit l'Éternel. » (Abdias 1:4) Une petite étude du contexte mettra en lumière la signification spirituelle du texte.
À ce point, je conseille au lecteur de rechercher dans la Bible le livre d'Abdias (entre Amos et Jonas, dans l'Ancien Testament) et de consacrer quelques minutes à en lire les 21 versets. On remarquera la beauté de certains passages, comme le verset précité, ainsi que le ton sans concession du prophète. En quoi ce texte étonne-t-il ? Quel genre de réflexion soulève-t-il ?
De nombreux lecteurs se demandent en tout premier lieu qui est ou que représente Édom. C'est là une clé pour comprendre le message du livre et, ce qui est tout aussi important, sa pertinence. Les Hébreux pensaient que les Édomites étaient leurs proches parents, les descendants d'Ésaü, frère jumeau de Jacob et son aîné de peu, qui vivaient à l'est de leur territoire. L'hostilité des deux frères se retrouvait dans les relations entre les deux peuples, sous une forme sans doute exacerbée par les périodes de domination israélite, et parce que les Édomites avaient refusé à Moïse et à son peuple la traversée de leur territoire durant l'Exode.
Abdias connaît bien cette histoire, mais là n'est pas sa première préoccupation. Il écrit à l'époque de la chute de Jérusalem, en 586 av. J.-C., et de l'effondrement qui s'ensuit du royaume de Juda. Il affirme que, profitant du chaos résultant de l'invasion, les Édomites se sont joints aux agresseurs babyloniens. Attiré par le vide de pouvoir créé par l'armée conquérante, le peuple d'Édom a traversé les frontières de Juda et pillé Jérusalem derrière l'avance babylonienne. Malgré l'inimitié historique entre Édom et Juda, personnifiée dans le texte par Ésaü et Jacob, Abdias frémit de ce qu'il considère comme une trahison insupportable. Il fait savoir sans détour aux Édomites que leur incursion et leur pillage, bien qu'éclipsés par la force écrasante des Babyloniens, sont connus et condamnés.
Abdias prédit également des temps meilleurs. La lâche perfidie d'Édom qui affecte tant Abdias au début du livre fait place à une vision élevée de délivrance, de « salut » et de restitution (versets 17-21). Il prophétise la reconstitution de « Jacob ». Les versets précédents semblent presque décrire ses efforts pour parvenir en haut de la montagne de Sion, là où la vision est spirituelle. Lorsqu'il y parvient, il voit la trahison du frère par son frère neutralisée et remplacée par la domination de plus en plus étendue du règne de Dieu. Sa vision se termine par la promesse que les « libérateurs », ou comme le suggère la New Revised Standard Version, « ceux qui ont été sauvés », recevront le pouvoir final de rendre la justice, « et à l'Éternel appartiendra le règne ».
La vision d'Abdias se prolonge jusqu'à la vie et au ministère de Jésus Christ et de ses disciples. Le Nouveau Testament mentionne deux rois sous le nom d'Hérode: le premier est un ennemi du nouveau-né Jésus, le second s'oppose à l'Église chrétienne naissante (voir Matthieu 2 et Actes 12). Ces deux rois étaient des Iduméens descendants des Édomites. Ils évoquent le premier constat d'Abdias. Jésus et l'Église échappent à leur complot, quoiqu'il dût en coûter à leur communauté.
Que nous apporte la vision d'Abdias aujourd'hui ? Tout d'abord, on pourra apprécier le courage du prophète. Appliquant la parole de Dieu à une situation désastreuse, il dénonce sans mâcher ses mots des ennemis qui ont indiscutablement le dessus. Il parle aussi à son propre peuple. Celui-ci a été réticent à accepter les paroles de ses prédécesseurs, et il a maltraité et mis en prison celui qui est presque son contemporain, le grand prophète Jérémie, dont Abdias adapte même certains propos dans une partie de son message.
Pour comprendre le sentiment d'urgence qui habite Abdias, il suffit de regarder le monde d'aujourd'hui. Les rapports de force entre nations ont complètement changé, entraînant dans ce bouleversement l'émergence d'une multitude de nouveaux pouvoirs qui cherchent à se venger d'anciennes injustices en s'appropriant les ressources et le territoire de leurs rivaux. Cet opportunisme parasitaire qui ébranlait tant Abdias n'est peut-être pas si différent qualitativement des conflits entre États ou liés au problème des apatrides, en ce début du XXIe siècle. Les rivalités à plus petite échelle qui menacent les communautés et les familles ont également de quoi désorienter. Quand l'ordre établi cède sous des pressions intérieures et extérieures intenses, le monde tel qu'on le connaît peut sembler se désintégrer sous nos pieds. « Quel est celui qui, ayant éprouvé la perte de la paix humaine, n'a pas aspiré avec plus d'ardeur à la joie spirituelle ? » demande Mary Baker Eddy dans son livre Science et Santé. (p. 265) Les changements brutaux nous forcent à considérer les événements en cours d'un point de vue plus spirituel, comme ce fut le cas pour Abdias. Ce point de vue spirituel peut non seulement nous inspirer et nous élever, mais apporter la paix et la guérison à un monde en lutte.
Comment acquérir cette vision spirituelle ? Suivons l'exemple et les enseignements de Jésus. Ce dernier connaissait bien les Écritures hébraïques, et il les a interprétées dans une nouvelle perspective qui apporte la guérison. L'esprit tenace des anciens prophètes ainsi que les profonds moments d'exaltation spirituelle dont ils ont laissé la trace écrite, confirment la promesse de Jésus: « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. » (Luc 21:33) Cette conviction a survécu à Babylone, à Édom et aux deux rois Hérode. Elle fait partie de l'héritage prophétique de Jésus et elle nous appartient aussi. Vivant dans des temps troublés, découvrant la sournoiserie des pensées et états mortels, et percevant au-delà d'eux la totalit et la permanence du gouvernement parfait, entièrement bon et harmonieux de Dieu, nous pouvons, nous aussi, partager en tant que prophètes la vision d'Abdias.