En janvier 2005, je me trouvais dans une cour d'école poussiéreuse, en plein soleil de midi, quelque part dans le Sud Soudan. C'est là que j'ai fait la connaissance d'une jeune fille au regard d'acier, du nom de Deborah Acot. Comme de nombreux autres jeunes de cette école, elle avait été enrôlée dans l'armée rebelle du Sud Soudan, alors qu'elle n'était qu'une enfant. Elle avait maintenant quinze ans et en avait fini avec l'armée. Elle commençait une nouvelle vie dans le sillage d'une paix qui venait juste d'être signée, mettant fin à la plus longue guerre civile qu'ait connu l'Afrique. Dans cette école, avec ses salles de classe au sol en terre battue et qui ne possède qu'une poignée de manuels scolaires écornés, elle espérait devenir assez forte en mathématiques et en sciences pour être un jour pilote d'avion.
Tandis que je l'interviewais pour le quotidien de langue anglaise, The Christian Science Monitor, de nombreuses questions me venaient à l'esprit: Cette petite jeune fille timide était-elle l'équivalent moderne de cet homme battu et dépouillé dont parlait Jésus dans la parabole du « bon Samaritain » (voir Luc 10:25-37) ? Avait-elle besoin, comme cet homme, qu'on lui tende une main secourable ? Dans l'affirmative, était-il possible qu'un lecteur du Monitor réponde aux besoins de cette jeune fille d'un village si lointain ? Se pourrait-il qu'un lecteur de l'autre bout du monde soit pour elle un bon Samaritain ?
Il est possible d'établir un parallèle entre la vie de Deborah et la situation de l'homme décrite par Jésus. Comme cet homme sur le chemin de Jéricho, Deborah s'est un jour retrouvée « au milieu des brigands ». Quand elle avait sept ans, un avion du gouvernement a bombardé son village, y laissant le chaos. Dans la confusion qui s'en est suivie, les membres de sa famille ont été dispersés. Elle ne les a jamais revus. Bientôt, elle passait ses journées à rassembler des vivres pour l'armée rebelle – et ses nuits à cuisiner pour les combattants !
Il me semblait que Deborah correspondait bien à la description extraordinaire que fait Jésus de ceux qui méritent les soins d'un bon Samaritain. À travers cette histoire, Jésus nous fait comprendre que, pour accéder à la vie éternelle, nous devons aimer notre prochain. Mais il nous exhorte implicitement à voir que notre prochain n'est pas seulement le voisin de palier ou du coin de la rue. Le Samaritain et l'homme dévalisé ne se connaissent apparemment pas. Ils sont étrangers l'un à l'autre. Ils appartiennent à des cultures bien différentes, celles de Samarie et de Judée, qui étaient souvent en conflit. Ceci étant, l'homme dépouillé de ses biens a grand besoin d'être secouru.
En fait, Deborah correspond bien à l'image originale du prochain que décrit Jésus. Elle vit dans l'un des endroits les plus reculés du monde, dans une culture où les biens sont du bétail, non des actions cotées en Bourse ni des fonds de placement et où le troupeau constitue pour la famille le capital principal. Deborah manque de tout, du stylo pour le travail scolaire au soutien psychologique qui l'aiderait à surmonter les séquelles de vingt années de guerre civile au Soudan.
Bien sûr, Deborah n'est pas seule à correspondre à cette description. La définition étendue que donne Jésus du prochain signifie-t-elle que nous devons aider toute personne en difficulté – tous les hommes, toutes les femmes à la rue, tous les enfants orphelins, toutes les personnes en détresse dont parlent les médias ? Jésus nous a bien demandé d'aimer nos « ennemis » (voir Matthieu 5:44), autant que notre prochain. Comment pourrions-nous ne pas nous intéresser à l'ensemble de la famille humaine et lui refuser cette sorte d'aide non discriminatoire qu'apporte la prière, comme le soleil qui brille pareillement sur tous ? Je crois cependant que l'initiative compatissante du Samaritain comporte une part de discernement et d'intuition. Sur le chemin de Jéricho, d'autres étaient passés « outre », mais le Samaritain avait discerné un appel à l'aide auquel il lui était impossible de ne pas répondre. Lorsqu'on lit cette parabole en pensant à toutes les guérisons effectuées par Jésus, on peut considérer que l'homme dévalisé symbolise l'humanité souffrante en quête du Christ, c'est-à-dire du message divin de liberté et de perfection qui inclut tout et qui est destiné à tous.
Je me demande si notre prochain planétaire n'est pas celui qui cherche le Christ, celui ou celle qui est en quête d'une vérité plus grande sur son être, en quête de moyens pour s'élever et avancer dans la vie.
Deborah correspond-elle à cette définition ? Oui, et de plusieurs façons. C'est une élève travailleuse: elle est cinquième d'une classe de 45 élèves (et l'une des trois seules filles de l'école, qui compte 830 jeunes.) Maintenant que la guerre est finie, elle espère découvrir ce qui est arrivé à sa famille. Elle veut être pilote d'avion soit pour prendre part à la guerre, si jamais les combats reprennent, soit pour transporter des vivres et participer à la reconstruction de la région.
Nous touchons ici, me semble-t-il, à la spécificité du journalisme que pratique le Monitor. Son but n'est pas d'exploiter des situations désespérées mais, bien souvent, de s'intéresser à des gens qui prennent leur vie et leur monde en main, même au milieu des pires difficultés.
Mais lorsqu'on désire sincèrement être un bon Samaritain pour le monde et que l'on sait qui aider, comment s'y prendre ? Le Samaritain s'est d'abord approché de l'homme à terre et il a commencé par panser ses blessures. Le lendemain de la parution de l'article sur Deborah dans le Monitor, un lecteur a eu une initiative extraordinaire, digne d'un bon Samaritain. Dans un e-mail, ce professeur du Vermont a écrit qu'il voulait aider Deborah et ses camarades de classe. Il avait des idées pour leur faire parvenir des manuels scolaires et autres fournitures, et il se demandait même si son école pouvait « adopter » l'école de Deborah. C'était là une réponse concrète, inspirée par une compassion semblable à celle du bon Samaritain. C'était aussi un excellent moyen de panser les blessures de Deborah et de ses camarades marqués par la guerre.
Mais le Samaritain de la parabole ne s'est pas arrêté là. Il a versé de l'huile et du vin sur les plaies du blessé. Dans la Bible, l'huile et le vin sont porteurs de significations symboliques et spirituelles. Mary Baker Eddy donne cette définition de l'huile: « Consécration; charité; douceur; prière, inspiration céleste » et elle définit en partie le vin comme « Inspiration; compréhension ». (Science et Santé, p. 592, 598)
L'une des blessures les plus profondes que la guerre ait laissée à Deborah est son désir amer de vengeance. Elle m'a avoué que si elle veut être pilote, c'est aussi pour « lâcher des bombes » sur les soldats ennemis. Il m'est venu à la pensée que ses blessures avaient grand besoin de la charité, de la douceur et de l'inspiration de l'huile et du vin métaphoriques, et que les lecteurs du Monitor, entre autres, pouvaient lui en prodiguer. Peut-être leur était-il possible de traiter par la prière cette question de vengeance, d'abord dans leur propre vie, puis dans le monde ? La charité, la douceur et la compréhension ne sont-elles pas autant d'antidotes à l'esprit de vengeance ? Ces qualités universelles, qui viennent de Dieu, ne sont-elles pas accessibles à tous ? Des prières dans ce sens pourraient insister par exemple sur le fait que l'homme et la femme créés par Dieu « à Son image » sont incapables de chercher à se venger, voire de concevoir de tels desseins.
Mais pourquoi devrions-nous, dans notre vie déjà bien chargée, prendre la peine de répondre aux besoins de notre prochain, par la prière et de façon concrète, autrement dit de devenir de bons Samaritains planétaires ? En premier lieu, parce que c'est bien. Mais aussi parce que c'est un excellent moyen de faire de grands progrès dans notre propre cheminement spirituel. Il est bon de se rappeler que la parabole de Jésus était une réponse à un docteur de la loi qui voulait savoir comment parvenir à la vie éternelle. « Aime Dieu et ton prochain », lui avait répondu Jésus en substance. Pour moi, Jésus explique là que la façon dont nous répondons à notre prochain, y compris à des personnes comme Deborah, a une grande influence sur la qualité et même la durée de notre vie.
En définitive, bien vouloir connaître les Deborah Acot de cette planète, est peut-être ce qu'il nous faut pour devenir de bons Samaritains pour le monde. C'est ce qui nous permet de trouver des moyens concrets de panser leurs blessures et d'y verser des prières de douceur et d'inspiration. Il est possible que cette main tendue et ces initiatives aident chacun de nous à gagner la vie éternelle.
Jésus a donné à ses disciples un commandement très simple: fais comme le Samaritain. « Va, dit-il, et toi, fais de même. »