Personne ne peut être parfait du matin au soir. Mais ça n'a pas empêché les gens d'essayer.
Si l'on remonte aux temps bibliques, on s'aperçoit que les humains se préoccupaient autant de perfectionnisme à cette époque que maintenant. Il y a l'histoire de Marie et de sa sœur hyper-consciencieuse, Marthe, qui faisait tout ce qu'elle pouvait pour que Jésus soit bien reçu chez elle. Et celle du jeune homme riche qui, obéissant à la lettre aux lois théologiques, pensait qu'il vivait ainsi d'une manière plus proche de la perfection. Avec beaucoup d'autres, ces personnages semblent s'être attendu à ce qu'il existe une sorte de perfection humaine pour eux-mêmes et peut-être pour les autres. Et pourtant, Jésus ne les a pas encouragés dans cette voie. Au contraire, il a incité ses disciples à abandonner ces efforts humains pour se concentrer sur une vision plus spirituelle.
Si cet homme même qui disait à ses compagnons « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5:48) ne demandait pas la perfection humaine, qu'encourageaitil au juste ? Pour nous aider, nous pouvons commencer par considérer le mot grec qui signifie parfait, telelos, et qui a été traduit par complet, intégral et mûr spirituellement, des mots qui tranchent remarquablement avec la rectitude pharisaïque et les codes de conduite rigides que l'on associe souvent à la version humaine de la perfection.
D'autre part, il n'y avait rien dans la vie de Jésus, dans ses guérisons, son enseignement ou sa relation avec les autres, qui mette l'accent sur la nécessité de perfectionner le comportement humain. Au contraire, les évangiles suggèrent que l'injonction de Jésus d'être « parfaits » était destinée à faire ressortir en chacun sa perfection spirituelle déjà présente, à libérer tous ceux qui la suivent de la croyance qu'ils puissent être autrement que parfaits du point de vue de Dieu.
La conduite de Jésus, elle-même, est le premier signe qu'il n'obéissait pas aveuglément à la lettre. Il lui a été plus d'une fois reproché d'avoir guéri des malades le jour du sabbat, période pendant laquelle les codes religieux interdisaient tout travail aux Juifs. Dans ces situations, Jésus mettait l'accent sur l'esprit de l'action plutôt que sur la lettre de la loi. Pour reprendre ses paroles: « Je vous demande s'il est permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une personne ou de la tuer. » (Luc 6:9) La réponse qu'il donna à ceux qui critiquaient ses disciples pour avoir violé le jour du sabbat en arrachant des épis de blé pour les manger était tout aussi explicite: « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat. » (Marc 2:27) Ces commentaires suggèrent que, pour Jésus, l'important était toujours d'honorer Dieu en faisant le bien plutôt qu'en suivant les définitions humaines de la vertu.
On peut aussi penser que les hommes considéraient ses compagnons (dont ceux qu'ils appelaient « les publicains et les gens de mauvaise vie ») comme étant indignes de côtoyer un prophète. Et pourtant, Jésus semblait plus s'émouvoir de ce qui se passait dans le cœur de ses adeptes que de leur comportement passé. Bien qu'il parlât beaucoup de surmonter le péché, Jésus montrait dans ses paroles qu'il ne pensait pas que les gens étaient essentiellement pécheurs. Il appelait ses disciples « sel de la terre », « lumière du monde » et « petits enfants », ce qui évoquait une tendre appréciation de leur potentiel plutôt qu'une condamnation de leurs défauts.
Quand Jésus voyait que quelqu'un devait surmonter le péché, il se montrait patient; il pardonnait la compréhension hésitante de ses disciples et même, plus tard, leur trahison, ainsi que la haine de ceux qui le crucifièrent. De plus, il parlait durement à ceux qui critiquaient les défauts des autres. Il dit à un groupe d'hommes qui essayaient de le persuader de condamner une femme infidèle: « Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle. » (Jean 8:7)
Il est clair que Jésus n'attendait ni de lui-même, ni des autres une perfection fondée sur des règlements. La perfection qu'il enseignait était spirituelle, une qualité innée provenant de la relation unique de chacun avec Dieu. Mais faut-il travailler dur pour atteindre cette perfection spirituelle ? Faut-il fournir des efforts pour arriver à cet état « élevé » de l'existence?
Ici encore, l'exemple de Jésus est instructif car, plus d'une fois, sa capacité d'améliorer des événements humains, c'est-à-dire de les faire coïncider avec une perfection basée sur l'esprit, a été immédiate. Quand il s'est trouvé devant plus de cinq mille bouches à nourrir, ni lui, ni ses disciples n'avaient le temps d'aller pêcher ou de faire cuire du pain. Toutefois, après une courte prière, il y a eu assez de nourriture pour que tous ceux qui étaient présents puissent manger à leur faim. De même, la cécité a été guérie, des difformités ont été corrigées, et la lèpre a disparu instantanément en présence de Jésus. Ce caractère immédiat des guérisons de Jésus montre qu'il considérait que la perfection spirituelle n'est pas quelque chose à atteindre dans l'avenir mais une réalité présente pour chacun. Non quelque chose que l'on doit devenir, mais quelque chose qu'on est déjà, en ce moment. Ses guérisons ont prouvé qu'il ne faut qu'une simple reconnaissance de ce fait pour que toute discordance disparaisse.
Cela ne signifie pas que des efforts humains pour progresser n'ont pas leur place dans la reconnaissance de la perfection spirituelle que Jésus enseignait et démontrait. En fait, dans son Sermon sur la Montagne, Jésus a prononcé toute une série de commandements dont il a dit qu'ils mèneraient à de plus grandes bénédictions. Mais son exemple indique qu'il s'attendait à ce que chacun obéisse à ces injonctions en se basant sur sa compréhension de sa perfection donnée par Dieu, et à ce qu'on le fasse avec patience et amour envers soi-même et envers son prochain.
Cette approache radicale pour comprendre la perfection se résume peut-être le mieux dans l'un des épisodes de la vie de Jésus. Un jour, comme il partait de Jéricho, un mendiant aveugle, du nom de Bartimée, l'a appelé pour lui demander de l'aide. (voir Marc 10:46-53) D'autres dans la foule condamnaient l'homme pour son audace et lui disaient de se taire. Mais Jésus réagit avec compassion. Sa demande: « Que veux-tu que je te fasse? », conduit à se demander si Jésus voyait où était le problème. Ou était-il si totalement conscient de la perfection spirituelle de chacun qu'on devait l'informer que Bartimée était aveugle? Après avoir entendu la requête de Bartimée (recouvrer la vue), Jésus l'a guéri immédiatement. Et la vie de cet homme a radicalement changé: il s'est mis à suivre Jésus. Cet amour et cette perception spirituelle n'ont pas rendu Bartimée parfait; ils ont révélé qu'il l'était déjà. Exactement comme son Père céleste.
