Quand on m'a demandé de parler du « concept de l'Église » selon Mary Baker Eddy, dans le cadre du Sommet de l'Église vivante organisé en Californie du Sud en 2011, j'ai aussitôt contacté mes collègues Judy Huenneke et Mike Davis, qui travaillent pour la Bibliothèque Mary Baker Eddy et sont très au fait de l'histoire de notre Église. Cette causerie rassemble donc un ensemble d'éléments tirés de nos conversations ainsi que d'une étude terminologique de la correspondance écrite de Mary Baker Eddy, de ses sermons et de ses articles, des comptes-rendus de réunion d'organisations fondées à son initiative, des souvenirs de ses élèves et d'autres documents. Je ne suis pas historienne de formation, mais au cours des années où j'ai travaillé à la Bibliothèque Mary Baker Eddy, j'ai pu avoir une idée des premières luttes qui marquèrent la vie de cette femme et des décisions courageuses qu'elle a dû prendre pour pratiquer, faire connaître et enseigner la Science Chrétienne, alors qu'elle aurait pu ne rien changer à sa vie après avoir bénéficié d'une guérison spirituelle. Au lieu de cela, elle s'est senti poussée à découvrir ce qui lui était arrivé et à l'expliquer aux autres. Elle a compris l'importance de cette guérison et a écrit: « Les gens semblent comprendre la Science Chrétienne dans la mesure même où ils me connaissent et vice versa. Je m'étonne parfois de constater le caractère invariable de cette règle. » F00537, Mary Baker Eddy à Julia Field-King, 26 novembre 1897, le fonds Mary Baker Eddy, La Bibliothèque Mary Baker Eddy.
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L'environnement religieux de Mary Baker Eddy, dans les années 1820, à Bow, village rural du New Hampshire, aux États-Unis, semble à priori bien différent de l'incroyable disparité des croyances religieuses de nos contemporains. À l'époque de Mary Baker Eddy, la plupart des familles célébraient un culte à Dieu au moins une fois par semaine, priaient et lisaient la Bible chez eux deux fois par jour. Le désir de lire la Parole de Dieu a contribué au taux élevé d'alphabétisation parmi les hommes et les femmes de la Nouvelle-Angleterre. Son père, Mark Baker, était un ardent calviniste et un membre fidèle de l'Église congrégationaliste. Ses ancêtres avaient embrassé le calvinisme avec la doctrine de la prédestination, c'est-à-dire l'idée que, par Sa grâce, Dieu avait déjà choisi ceux qui seraient sauvés et ceux qui seraient damnés. Rien de ce que l'on pouvait faire sur terre ne suffirait à changer les choses, même en menant la plus altruiste et la plus vertueuse des existences. Mais peu à peu on en vint à penser que les bons et les justes figureraient certainement au nombre des élus.
Cet enseignement commença à être remis en question avec l'établissement de la nouvelle colonie. Des pionniers de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle, comme Mary Dyer [militante en faveur de la liberté de culte], furent exécutés; Anne Hutchinson [puritaine dissidente] fut bannie pour avoir voulu faire évoluer ces croyances traditionnelles en affirmant, notamment, que les hommes et les femmes pouvaient, par leurs propres efforts, connaître une conversion religieuse ou sentir en eux le pouvoir de Dieu. On considéra que c'était là une contestation de l'autorité de la Bible et du clergé.
Ces deux femmes prêchaient leurs croyances en public, croyances jugées hérétiques à l'époque et qui causèrent sans doute leur mort. Durant l'enfance et les premières années d'adulte de Mary Baker Eddy, le Nouveau Monde fut traversé par une vague de réformes religieuses qu'on appela par la suite « le deuxième grand réveil ». Des revivals [réunions pour le renouveau de la foi] incitaient les gens à réfléchir à leur salut personnel par la conversion, et beaucoup croyaient entendre la voix de Dieu s'adressant directement à eux. Ce mouvement incita des femmes de toutes origines à devenir prédicatrices itinérantes, car elles se sentaient poussées par Dieu à proclamer publiquement Sa Parole. Au sein même de la famille Baker, le neveu de Mark se convertit à l'universalisme, mouvement issu du calvinisme anglais, qui rejetait cependant la prédestination et croyait en la possibilité du salut pour tous par la repentance, grâce au crucifiement de Jésus. Nul doute que la conversion d'Aaron Baker donna lieu à un grand nombre de discussions passionnées au sein de la famille Baker.
La mère de Mary entendit Dieu lui parler avant la naissance de sa fille; Mary elle-même raconte qu'elle entendit Dieu lui parler quand elle était enfant — phénomènes inhabituels dans un foyer adepte d'un calvinisme strict. De tous les enfants Baker, Mary semblait la seule à être attirée par la spiritualité. Prier était pour elle aussi naturel que respirer. Elle aimait lire la Bible et s'efforçait manifestement d'obéir à ses enseignements, aussi n'est-il pas étonnant que, très tôt, elle se soit vivement heurtée aux croyances de son père et de sa congrégation.
Lors d'un récent entretien, Gillian Gill [biographe de Mary Baker Eddy] rappelait que l'épisode où Mary piqua son père avec une épingle pour mettre fin à des prières interminables marque un moment déterminant dans son enfance, comme le signe avant-coureur d'un brillant avenir. Lyman Powell, autre biographe, cite Mary Baker Eddy expliquant qu'elle « prit une longue épingle à châle de la pelote à épingles posée sur la table, puis rampa jusque derrière la chaise où il était agenouillé et prêchait avec véhémence, et enfonça l'épingle en un endroit où le résultat ne se fit pas attendre, avant de s'enfuir dans la confusion qui s'ensuivit ». Lyman Powell, Mary Baker Eddy: A Life Size Portrait [Mary Baker Eddy: Portrait grandeur nature], p. 304. Pour Gill, cet épisode non seulement traduit la tension doctrinale qui régnait dans le foyer, mais fait aussi penser aux coups tranchants que Mary Baker Eddy portera plus tard à la théologie traditionnelle.
Les vagues de contestation qui touchèrent la Nouvelle-Angleterre nourrirent les questionnements de Mary Baker Eddy. D'autres courants religieux, nés bien avant, étaient également en effervescence dans la Nouvelle-Angleterre de cette époque et dans les régions voisines. Il y eut d'abord les shakers, les quakers et les croyances des Amérindiens, puis l'essor du spiritisme, des millérites, des adventistes et de bien d'autres. Tous faisaient parler d'eux dans cette Amérique de la première moitié du XIXe siècle. Mais est-ce si différent d'aujourd'hui ? Nous connaissons, nous aussi, une période de changements où l'Église établie depuis tant d'années a perdu sa suprématie face à la montée de nombreux autres courants religieux.
On a déjà dit beaucoup de choses sur l'éducation de Mary Baker Eddy. De santé fragile, elle ne pouvait aller à l'école aussi souvent qu'elle l'aurait souhaité. Ajoutons à cela que les filles restaient parfois à la maison pour aider aux travaux domestiques à certaines périodes l'année. Mais l'on sait qu'elle lisait énormément et que l'un de ses frères, Albert, lui enseignait des matières qu'elle n'aurait peut-être pas eu l'occasion d'étudier autrement. Apparemment, elle retenait facilement ce qu'elle lisait, car elle note que sa mémoire était bonne. Bien qu'elle n'ait pu poursuivre des études secondaires comme ses contemporaines, Elizabeth Cady Stanton [militante féministe] ou Lucy Stone [féministe en faveur de l'abolition de l'esclavage], elle alla dans une école privée où elle enseigna par la suite. Toujours en quête d'une santé meilleure et d'une vie plus active, elle étudiait fidèlement les Écritures, tout en explorant les théories médicales de l'époque comme l'homéopathie, l'hydrothérapie, le mesmérisme et bien d'autres méthodes alternatives. Elle cherchait, expérimentait, démontrait, reproduisait, découvrait — même dans les pires circonstances de sa vie, elle ne cessait de s'instruire.
Avec une telle soif d'apprendre dans le contexte historique de l'époque, rien d'étonnant à ce qu'elle se soit sentie proche de la Bible durant les sombres heures de son existence. Elle y trouvait inspiration et réconfort. Elle se joignait à une communauté religieuse chaque fois que cela lui était possible; c'était important pour elle d'être membre d'une telle communauté, contrairement à ses frères et sœurs. Sa vie connut des hauts et des bas multiples, jusqu'à sa découverte de la Science Chrétienne. Bien qu'au début elle ne comprît pas totalement comment elle avait été guérie, elle était certaine que cette guérison devait tout aux enseignements de la Bible. Son désir de voir ce système de guérison accessible à tous devint alors primordial.
Après s'être établie comme praticienne de la guérison et comme professeur, Mary Baker Eddy organisa des services religieux avec ses élèves, sur le modèle des communautés chrétiennes dont parle le Nouveau Testament à travers les Évangiles et les épîtres de Paul. On y retrouvait un sentiment de fraternité, celui d'une communauté rassemblée dans un même but et dont les ressources étaient mises en commun. Le but était d'accomplir les œuvres de Christ Jésus, sa mission essentielle étant non seulement de guérir les malades mais, selon les paroles de Mary Baker Eddy, « la mission plus haute du pouvoir-Christ, mission qui est d'ôter les péchés du monde » (Science et Santé, p. 150). Cette église tint ses premiers services dans une salle louée, puis dans des maisons particulières, puis à nouveau dans des salles publiques en raison de l'augmentation du nombre de membres. Lorsque l'Église s'organisa, en 1879, elle se donna la mission de « commémorer la parole et les œuvres de notre Maître, et [de] rétablir le christianisme primitif et son élément perdu de guérison » (Manuel de l'Église, p. 17).
L'Église démontrait collectivement le pouvoir du Christ en guérissant les malades. Saint Paul va jusqu'à appeler l'Église « le corps du Christ » (voir I Corinthiens 12:27, 28).
Une Église de praticiens de la guérison: Julia Bartlett à Littleton, New Hampshire
Pour illustrer les débuts de cette Église de façon vivante, prenons l'exemple de Julia Bartlett. Après avoir suivi l'enseignement de Mary Baker Eddy en 1880, Julia Bartlett allait bientôt enseigner elle-même au Metaphysical College. Mary Baker Eddy attendait également d'elle, comme de tous ses élèves, qu'elle développe sa propre pratique de guérison. Julia Bartlett a publié ses souvenirs dont voici un extrait:
« C'est vers le 1er mars 1884 qu'un docteur du New Hampshire m'envoya une jeune femme que les médecins n'avaient pu guérir, pour que je la traite par la Science Chrétienne. Neuf jours plus tard, cette jeune femme retourna le voir, en parfaite santé, et resta chez lui pendant deux semaines. Lorsque ce docteur et ceux qui connaissaient cette femme virent ce que la Science Chrétienne avait fait pour elle, leur intérêt fut vif.
« Ils ne connaissaient rien à la Science, mais de nombreux malades chroniques, ainsi que d'autres qui avaient besoin d'aide, désiraient être traités et exprimèrent le désir que je vienne sur place m'occuper de leur cas. Ils m'écrivirent à cet effet et je leur fis savoir que je ne pouvais y aller, car mon travail au College m'occupait déjà pleinement. Mais ils ne voulurent pas accepter cette réponse négative et continuèrent à me presser de venir, jusqu'à ce que, finalement, je demande à Mary Baker Eddy de me conseiller sur la voie à suivre. Celle-ci répondit: "Écrivez-leur que vous allez y passer une semaine", ce que je fis. Je leur dis aussi que je leur ferai un exposé sur la Science le premier et le deuxième soir après mon arrivée s'ils pouvaient trouver une salle à cet effet et s'ils acceptaient de s'aider eux-mêmes en s'abonnant à The Christian Science Journal pour un an. [...]
« J'ai pu constater que ces gens étaient tout à fait prêts à faire ce qu'on leur demandait, et la salle était pleine à craquer les deux soirs où je me suis adressée à eux. Il y eut un grand nombre d'abonnements au nouveau périodique de la Science Chrétienne, car chacun s'y abonna. Lorsque j'eus fini, les gens firent la queue pour prendre rendez-vous avec moi le jour suivant, jusqu'à ce que chaque minute de ma journée fût prise. À l'heure dite, ils se présentèrent les uns après les autres, ponctuellement, et ceci commença tôt le matin pour se poursuivre jusque tard le soir, une pièce étant remplie de ceux qui attendaient, parfois deux à trois heures, d'être reçus.
« J'habitais dans la maison où ma patiente — qui avait été guérie et dont le cas avait conduit le docteur dont j'ai parlé tout à l'heure à se faire une opinion favorable de cette méthode de traitement — avait une chambre meublée. Cette personne se rendit très utile, recevant les gens qui arrivaient, ce qui occupa tous ses instants. Je recevais et traitais soixante-dix patients par jour, mon travail se poursuivant tard dans la nuit, et bien que je ne puisse accorder à chacun que quelques minutes de mon temps, la plupart d'entre eux étaient guéris rapidement. Je ressentais une vive compassion pour le grand nombre de gens qui venaient des villes environnantes, me suppliant de prendre leur cas et que je n'avais même pas le temps de voir. J'expédiais alors un télégramme à Boston pour qu'on m'envoie de l'aide, mais je ne trouvai personne qui pût venir. J'avais peu de temps pour manger ou dormir. Mon seul désir était de faire de mon mieux et tout ce que je pouvais pour ces personnes pendant mon court séjour parmi elles, et Dieu bénissait remarquablement mes efforts. » Julia Bartlett, Nous avons connu Mary Baker Eddy, p.23-25.
Quel exemple saisissant des débuts de cette Église chrétienne ! Mais quelques années plus tard, Mary Baker Eddy écrivit: « L'Église est le corps du Christ: de même que les mortels en progrès abandonnent l'organisme matériel de leur corps, ainsi l'Église militante doit s'élever au-dessus du cadre matériel jusqu'à l'Église triomphante. » L09635, Mary Baker Eddy à L'Église Mère, 2 décembre 1889, le fonds Mary Baker Eddy.
Mary Baker Eddy considérait que l'organisation de l'Église de 1879 était « matérielle », et que le temps était venu de dépasser cette forme d'organisation. L'Église primitive n'avait pas survécu aux premiers chrétiens, et Mary Baker Eddy se rendait compte que la structure de son Église ne lui survivrait pas non plus.
Les archives montrent que Mary Baker Eddy donna régulièrement des sermons à Boston à partir de 1878 et pendant la plupart des années 1880. Parfois des orateurs étaient invités à la remplacer, avec son approbation. Elle était à présent une célébrité locale, aussi était-il normal de louer des salles plus grandes lorsqu'elle s'exprimait en public. Elle guérissait, donnait des sermons le dimanche et des conférences à d'autres moments, enseignait dans son College, publiait et diffusait ses livres, lançait le Journal of Christian Science, correspondait avec ses élèves disséminés dans tout le pays, prenait des décisions pour son Église — elle débordait littéralement d'énergie.
On le voit, Mary Baker Eddy était au centre de tout ce qui faisait progresser le mouvement à cette époque, progrès qui dépendaient également des conseils qu'elle prodiguait à ses élèves loyaux. Ce type d'organisation n'aurait jamais pu résister à l'épreuve du temps. Très tôt, Mary Baker Eddy se rendit compte que la croissance de l'Église fragiliserait son leadership et qu'après sa mort cette Église disparaîtrait, faute d'un successeur à la hauteur. Rappelons-nous qu'elle avait déjà atteint cet âge où la plupart des femmes de l'époque vivaient les dernières années de leur vie. Elle n'avait aucun plan stratégique, mais son désir était sa prière. En écoutant Dieu, elle décida de consacrer tous ses efforts à clarifier son message écrit, en révisant Science et Santé en profondeur et en le publiant dans une nouvelle édition — la 50e. Elle demanda aux élèves de considérer ce livre, dans sa nouvelle édition, comme « le professeur et le praticien ». L05681, Mary Baker Eddy à Mary V. Blain, 18 mai 1891, le fonds Mary Baker Eddy.
Sa décision de réviser Science et Santé entraîna notamment la fermeture du Metaphysical College. Elle décida aussi de dissoudre son Église tout en encourageant ses élèves à continuer de tenir des services religieux. Ces décisions parurent soudaines, mais elle avait déjà cessé peu à peu de participer à l'activité de l'Église pour se consacrer à la révision de son livre. À mesure que les idées lui venaient, elle réorganisa une Église sur une base plus solide, une expression plus spirituelle et plus universelle de l'organisation destinée à durer éternellement. Ainsi la personnalité humaine et le leadership personnel de Mary Baker Eddy commencèrent à s'effacer, mais c'était la même mission de guérison qui se révélait être au cœur de l'Église. Elle écrivit à Première Église du Christ, Scientiste, Denver, en 1892: « En tant qu'être corporel, je ne suis pas au milieu de vous; en tant que chef, arbitre ou législatrice, je ne suis pas présente; mais en tant que mère dont le cœur bat à l'unisson de celui de ses enfants pour leur bien-être, je suis présente et me réjouis avec ceux qui se réjouissent. » (Écrits divers 1883-1896, p. 152) Les archives contiennent de nombreux témoignages de son amour pour ceux qui poursuivaient cette œuvre de guérison dans tout le pays.
La prière révéla à Mary Baker Eddy une idée essentielle: il lui fallait fonder une Église Mère à Boston. Elle écrit à ce sujet: « La Première Église du Christ, Scientiste, à Boston, Mass., est destinée à être bâtie sur le Roc, Christ, voire sur la compréhension et la démonstration de la Vérité, de la Vie et de l'Amour divins, qui guérissent et sauvent le monde du péché et de la mort, pour refléter ainsi, dans une certaine mesure, l'Église Universelle et Triomphante. » (Manuel de l'Église, p. 19) Cette Église aurait une vision et une portée universelles, et ne serait plus calquée sur le modèle d'organisation de l'Église congrégationaliste de son enfance. Les affaires de L'Église Mère seraient conduites par un Conseil des directeurs de la Science Chrétienne, dont les premiers membres seraient élus par Mary Baker Eddy et les suivants par cooptation. Au fil des mois, un nouveau système de gouvernement fut confié aux directeurs, et fixé par de nouveaux statuts définitifs, destinés à demeurer à perpétuité.
Mary Baker Eddy organisa cette Église de façon différente de celle des églises filiales. Retenant la mission de l'Église de 1879, destinée à « commémorer la parole et les œuvres de notre Maître », les filiales allaient demeurer démocratiques et disposer ainsi d'une souplesse organisationnelle afin de mieux répondre aux besoins locaux. Il devint clair qu'une église filiale devait être formée avec la pleine coopération de ses membres, être le fruit d'une démonstration en quelque sorte, pour bénéficier d'une base solide au sein de la communauté, contrairement à une église dont l'organisation aurait été conçue par un siège à Boston ou par un élève de Mary Baker Eddy.
Un article intitulé « L'Église qui incarne aujourd'hui le Christ guérisseur » de Mike Davis (chercheur à La Bibliothèque Mary Baker Eddy) résume très bien cette histoire. Michael Davis, « Church that embodies the healing Christ today », Christian Science Sentinel, 11 mai 2009. Voir aussi la traduction de cet article dans le Héraut de janvier 2010.
Le but de l'Église révélé dans la structure du Manuel
Au fil des ans, un certain nombre de dispositions statutaires furent annoncées dans les périodiques de l'Église pour guider les premiers pas de L'Église Mère. Ces dispositions comprenaient parfois des règles à suivre par les filiales. Leur composition naissait souvent des échanges entre Mary Baker Eddy et le Conseil des directeurs qu'elle avait mis en place. Commentant ces statuts, elle écrira plus tard:
« Les Règles et les Statuts contenus dans le Manuel de La Première Église du Christ, Scientiste, Boston, n'eurent pas leur origine dans un conclave solennel tel que l'antique sanhédrin. Ils n'étaient pas l'expression d'opinions arbitraires ni d'exigences dictatoriales, telles qu'une personne pourrait en imposer à une autre. Ils furent établis sous l'impulsion d'un pouvoir non personnel, écrits en des moments différents et à mesure que les circonstances l'exigeaient. Ils naquirent de la nécessité, de la logique des événements — du besoin impérieux de les avoir comme aide indispensable au maintien de la dignité et de la défense de notre Cause; d'où leur base simple et scientifique ainsi que leur caractère détaillé si nécessaires pour démontrer la véritable Science Chrétienne, et qui feront pour la race humaine ce que pourraient ne pas accomplir des doctrines absolues destinées aux générations futures. » (Manuel, p. 3)
Incontestablement, il s'agit bien là d'une organisation solide comme le roc, établie pour tous les temps.
À partir du moment où elle quitta Boston pour Concord, dans le New Hampshire, et durant la période de construction de l'édifice de l'église, Mary Baker Eddy s'impliquait de moins en moins personnellement dans les activités de l'Église. Les statuts virent le jour un par un; en général, publiés d'abord dans les périodiques puis dans le Manuel, ils indiquaient comment serait établie cette nouvelle Église. Mary Baker Eddy avait nommé un nouveau pasteur de L'Église Mère, la Bible et Science et Santé avec la Clef des Écritures, pour remplacer le sermon personnel. Elle établit le Conseil des conférences ainsi que La Société d'édition de la Science Chrétienne, le Conseil d'Instruction et le Comité de Publication. C'était là une Église « destinée » à poursuivre son œuvre à l'aube d'un nouveau siècle et au-delà.
La seule activité qui tenait alors à cœur à Mary Baker Eddy c'était la révision de Science et Santé, qu'elle poursuivit jusqu'à la fin de sa vie. Si certains ont pu l'aider dans le travail de correction et d'autres tâches, elle avait toujours le dernier mot quant au contenu.
Croissance d'une nouvelle organisation
Cette décision courageuse de dissoudre l'Église qu'elle avait fondée en premier a donné naissance à une nouvelle organisation dotée d'une perspective « universelle » et de membres dans le monde entier qui en reflètent l'esprit, une Église travaillant avec ses filiales distinctes, bâties sur la démonstration des membres qui en font partie. La lecture des pages 71-72 du Manuel fait comprendre la nette différence qu'il y a entre les deux organisations. Je fais allusion à la disposition statutaire « Position unique de L'Église Mère » et au passage « Les églises filiales n'adopteront... [pas] le Manuel de L'Église Mère ».
Combien de fois, dans mon expérience de membre d'église filiale, ai-je entendu dire que nous devons refléter les statuts de L'Église Mère ! Ce n'est pourtant pas ce que Mary Baker Eddy a prévu pour les filiales. Grâce à sa clairvoyance, le mouvement de la Science Chrétienne peut être présent sur la scène mondiale et remplir sa mission de guérison sans que celle-ci soit mise dans un carcan. Quelle inspiration !
Une autre force du Manuel de l'Église trouve un écho dans ce passage de La Première Église du Christ, Scientiste, et Miscellanées: « S'il est une chose dont je suis sûre, c'est que chacune des règles et statuts de ce Manuel accroîtra la spiritualité de celui qui y obéit, fortifiera son aptitude à guérir les malades, à consoler ceux qui pleurent et à réveiller les pécheurs. » (p. 230) On retrouve le thème de la mission plus vaste de l'Église, mais on note ici que chaque disposition statutaire concerne les particuliers et que la démonstration individuelle de la Science Chrétienne y joue un très grand rôle. Le Manuel contient peut-être autant de règles portant sur le comportement des membres de L'Église Mère que sur l'organisation de l'Église. N'est-ce pas là où perce le génie de Mary Baker Eddy ? Dans une lettre condamnant le leadership personnel, elle écrit: « Que le Manuel fasse autorité quant à la conduite des membres d'église. » L01662, Mary Baker Eddy à Alfred Farlow, 7 juillet 1904, le fonds Mary Baker Eddy. Ainsi, à travers les actes de quatre membres de L'Église Mère et d'un praticien actif dont le nom figure dans le répertoire du Journal (conditions requises par le Manuel pour devenir une église filiale), elle s'assure que les églises adopteront la structure et la conduite essentielles qu'elle a définies pour la Science Chrétienne et les scientistes chrétiens. (On notera le nombre d'exigences contenues dans les statuts concernant la conduite et la discipline des membres à propos de la pratique de la guérison et du nursing.)
Ainsi, le Manuel ne contient aucune exigence concernant les édifices si ce n'est pour L'Église Mère. J'aimerais vous lire une lettre au sujet de l'établissement d'une église filiale. Une personne avait écrit au secrétaire de L'Église Mère pour savoir qui pouvait organiser une église, et voici la réponse de William B. Johnson, à la fois directeur et secrétaire à cette époque:
Le 25 juillet 1903
À l'attention de Mme Olive Weymouth
et de toutes personnes concernées
Skowhegan, Maine
Chers Amis,
En réponse à votre lettre du 20 juillet dernier, j'aimerais
dire que les statuts de notre Manuel d'Église sont tout à fait clairs quant aux personnes qualifiées pour organiser une église filiale.
Mais que signifie « travaillant dans le Champ »? Je répondrai par cette autre question: Considéreriez-vous qu'une personne qui ne consacrerait pas son temps à sa pratique serait un vrai travailleur en Science Chrétienne ? « Quel est le nombre minimum de membres requis pour former une Église »? Ce sont les lois de votre État qui le déterminent, et vous pouvez obtenir cette information auprès d'un conseiller juridique. Je crois que ce nombre varie en fonction des États.
Un mot quant à l'organisation d'une église. Vous dites qu'aucun des signataires de votre lettre n'a suivi le cours Primaire. Je n'ai pas vu vos noms dans le répertoire des praticiens du Christian Science Journal. Permettez-moi de vous poser la question suivante: Êtes-vous sûrs d'avoir parmi vous des personnes qui peuvent occuper les fonctions à responsabilité d'officier, conformément aux exigences de la Science Chrétienne ? Sont-elles capables de se défendre et de défendre leur fonction contre les agressions subtiles de la suggestion mentale malveillante ? L'ont-elles prouvé ? Si ce n'est pas le cas, alors l'église serait en danger dès le début. C'est pour avoir vu des résultats aussi déplorables dans des églises organisées par des personnes qui n'étaient pas qualifiés pour se protéger, que j'estime être de mon devoir sacré de conseiller la prudence quand on m'interroge sur l'organisation d'une église, ou quand on me demande mon avis. Des guérisons ! Des guérisons ! Des guérisons ! voilà ce qui est nécessaire ! Et si l'on n'accomplit pas des guérisons constamment, le simple fait d'organiser une église ne comptera guère dans le succès de notre Cause.
veuillez agréer, chers Amis, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Et l'on pourrait citer d'autres réponses de la même veine. Bien qu'il n'ait pas demandé l'avis de Mary Baker Eddy, ses réponses étaient basées sur les échanges qu'ils avaient eus ensemble.
Mary Baker Eddy préférait des édifices d'église modestes, cependant elle n'imposa rien au mouvement qui se développait, laissant ce choix aux filiales elles-mêmes. Mais elle pouvait aussi être très directe. Elle écrivit un jour: « Vous efforcez-vous en Science Chrétienne d'être les meilleurs chrétiens du monde ou vous efforcez-vous d'avoir les édifices les plus coûteux ? Vous efforcez-vous de tirer le plus possible de la matière dont vous admettez qu'elle est irréelle, ou vous efforcez-vous de tirer le maximum de l'Esprit dont vous admettez qu'il est tout ?... Les superstructures matérielles les plus modestes et les moins imposantes indiquent votre état de pensée spirituel et vice versa. À présent, montrez au monde la sincérité de vos paroles et de vous actes ou bien retirez votre nom de la liste des scientistes chrétiens. » L07169, Mary Baker Eddy à Archibald McLellan, Novembre 1908, le fonds Mary Baker Eddy. Bien que Mary Baker Eddy ait écrit elle-même ces mots, comme on peut le constater dans le fonds qui regroupe ses manuscrits, on sait qu'ils furent publiés sous le nom d'Archibald McLellan dans le numéro du 5 décembre 1908 du Christian Science Sentinel. Et que penser de cette lettre qu'elle adressa à l'une de ses élèves: « Un société qui peut dépenser plus d'un million de dollars pour un édifice d'église à la mode devrait retirer le nom de Science Chrétienne ou être prête à aider notre cause de manière différente... » V00452, Mary Baker Eddy à Anne Dodge, 17 octobre 1903, le fonds Mary Baker Eddy. Dans un grand nombre de lettres écrites à l'occasion de la dédicace des églises filiales, Mary Baker Eddy incite les membres à se détacher de l'édifice pour regarder vers le Roc, la véritable structure sur laquelle l'église est fondée.
Travailler ensemble pour réaliser la vision de Mary Baker Eddy
À la différence d'autres leaders religieux, Mary Baker Eddy évita le piège de la popularité et de la corruption subtile qui découlent souvent de l'exercice de l'autorité, en l'occurrence l'autorité qu'elle avait en tant que leader de l'Église de la Science Chrétienne. Elle établit une Église fondé sur le roc, Christ, qui ne dépend donc pas d'un leader personnel; une Église qui a la capacité de marcher de pair avec le temps, et de trouver un langage spirituel qui parle à un public divers, aujourd'hui- même, sans perdre sa sainte théologie, c'est-à-dire en étant capable de s'adapter sans édulcorer son message. Elle fit preuve d'un courage exemplaire, qualité essentielle pour nous tous qui apprenons à être à l'écoute des besoins d'un monde en perpétuel changement. Elle aurait pu accepter l'offre de sa sœur Abigail, qui lui proposait un foyer et une existence sans doute confortable dans le rôle de « la sœur invalide ».
Mary Baker Eddy aurait pu se contenter d'être reconnaissante envers Dieu pour sa guérison et de revenir à une vie tranquille à Lynn. Elle aurait pu demeurer le seul pasteur, le seul professeur et la seule praticienne, et la Science Chrétienne ne lui aurait sans doute pas survécu. Elle aurait pu laisser Science et Santé quasiment sous sa forme initiale, lors de sa publication en 1875: un livre pour son époque, mais non pour toutes les époques. Elle aurait pu prendre une « retraite » bien méritée, en 1907, menant une existence confortable, après l'action en justice dite des « Amis proches » et se réfugier à Pleasant View, aimée de tous ses concitoyens. Mais non ! Elle savait qu'elle avait encore une tâche à accomplir et, rompant ses attaches, à l'âge de 86 ans, elle partit vivre dans une maison qu'elle n'aimait pas, pour achever l'œuvre de toute une vie.
Alors qu'attendait-elle de nous ? On la cite disant « qu'elle désirait ardemment voir ce jour où personne ne pourrait entrer dans une église de la Science Chrétienne, quelles que soient sa maladie ou ses souffrances, sans être guéri, et que ce jour ne pourra venir que lorsque chaque membre de l'église étudiera et démontrera la vérité contenue dans la Leçon biblique, et viendra au service avec la conscience ainsi préparée. » Florence Clerihew Boyd, « Healing the Multitudes » [Guérir les foules], Christian Science Sentinel, 1er juillet 1916, p. 866. Voilà ce qu'elle attendait de nous tous, sans exception.
« Seule l'organisation pourra sauver cette Cause »
Mais que répondre à ceux qui interprétèrent mal la confiance de Mary Baker Eddy dans l'organisation permanente de l'Église ? Lorsqu'elle apprit que certains membres, interprétant sa pensée, lui faisait dire que le temps viendrait où l'organisation serait obsolète, et que d'autres ne la croyaient déjà plus nécessaire, elle répondit: « J'ai appris que seule l'organisation pourra sauver cette Cause au service de l'humanité et la protéger des désorganisateurs frénétiques. L'Apôtre compare l'Église au corps du Christ... Alors si vous vouliez détruire Son Église, ne détruiriez-vous pas Son corps et ne répandriez-vous pas son sang ? » L07892, Mary Baker Eddy à Joseph Adams, 27 avril 1887, le fonds Mary Baker Eddy. Elle déclara également: « N'abandonnez jamais les statuts ni le gouvernement confesstionnel de L'Église Mère. Si je ne suis pas personnellement avec vous, la Parole de Dieu et mes instructions contenues dans les statuts vous ont conduits jusqu'ici, et seront toujours là pour vous guider en toute sécurité... » L00325, Mary Baker Eddy au Conseil des directeurs de la Science Chrétienne, 27 février 1903, le fonds Mary Baker Eddy. Mais ma citation préférée est la suivante: « L'organisation est une chose simple malgré toute son importance. Il s'agit simplement d'accomplir des choses en travaillant ensemble. » Souvenirs du juge Clifford P. Smith, p. 6. Relevons le défi et travaillons ensemble pour réaliser la vision qu'avait notre Leader pour L'Église Mère, ses membres et ses églises filiales.
Article paru dans le Christian Science Journal de juin 2011