On pourrait appeler cela une tentative de vol d'identité: tenter de séparer les enfants de Dieu de l'origine même de leur existence, de Lui-même. Cette supercherie constitue le mode opératoire du mal car, en dépit des nombreuses formes qu'elles prennent, toutes les tentatives du mal ont pour base un mensonge fondamental prétendant que Dieu et Sa création peuvent être divisés. On en trouve beaucoup d'illustrations dans la Bible, qui propose avec sagesse le meilleur moyen de triompher de ces tentatives: contrecarrer les fausses prétentions du mal en lui opposant la vérité concernant notre identité spirituelle.
Prenons deux exemples apparemment sans rapport l'un avec l'autre: l'introduction du livre des Psaumes et le commencement du ministère de Jésus tel qu'il est relaté dans les Évangiles. Ces deux exemples nous éclairent sur la nature des tentatives du mal pour nous dérober notre identité, et sur la manière de nous en protéger. Le psautier ne perd pas de temps. Il va droit au but. D'ailleurs, les premiers versets du premier psaume sautent même une étape, en présumant, semble-t-il, que le lecteur connaît déjà l'argument avancé par le monde, à savoir qu'on peut trouver le bonheur et la prospérité en se conduisant mal. Le Psalmiste commence par mettre en question cette croyance, en recommandant à son auditoire de rejeter la suggestion qu'on puisse réussir en se séparant de Dieu. Le Psalmiste propose un antidote à cette tentation: prendre plaisir à la loi, ou directives, de Dieu et la méditer constamment. Le psaume promet que si nous ancrons notre identité dans la loi de Dieu, nous nous épanouirons comme « un arbre planté près d'un courant d'eau ». À l'opposé, tenter de séparer notre identité de son origine divine nous rend vulnérables « comme la paille » emportée par le vent (voir Ps. 1:3, 4).
Il est ensuite montré que nous trouvons le bonheur en acceptant le lien qui nous unit à Dieu. Le deuxième psaume s'ouvre sur une conspiration de souverains qui cherchent à s'éloigner de Dieu et du roi qu'il vient d'oindre. Toutefois, la façon dont Dieu répond à ce complot est plus intéressante que le complot lui-même: Il rit. Premier son émis par Dieu dans le livre des Psaumes, ce rire n'indique pas simplement que Dieu a un bon sens de l'humour, il révèle bien plus que cela. Ce rire semble plutôt avoir pour cause l'impuissance du mal face au règne omnipotent de Dieu. Dieu, conscient de Son immuabilité, assure donc le roi de son identité invulnérable: « ... tu es mon fils ! Je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession. » (Ps. 2:7, 8) Bien entendu, la description de cette relation inébranlable entre Dieu et Son enfant, et de l'autorité spirituelle qui en résulte, n'est pas l'apanage du psautier. Elle se retrouve à maintes reprises tout au long de la Bible, en particulier dans l'introduction du ministère de Jésus. D'ailleurs, ce que Dieu déclare à Son oint, dans le psaume 2, « Tu es mon fils », se répète lors du baptême de Jésus (voir Marc 1:11 et Luc 3:22). Et, comme dans l'introduction du psautier, le mal va, une fois encore, tenter de ternir cette définition, qui cette fois-ci s'applique à Jésus, lors de l'épisode bien connu de la tentation dans le désert.
Les tentations ont lieu au début du ministère de Jésus, après son baptême et ses quarante jours passés seul dans le désert. Le diable essaie de le tenter en mettant explicitement en question son statut de Fils de Dieu (voir Matth. 4:3, 6 et Luc 4:3, 9). En particulier, il lui suggère que la faculté d'accomplir des miracles pour sa propre gloire prouverait vraiment son identité. Comme les croyances matérielles auxquelles il est fait allusion dans le premier verset du psautier, les suggestions du diable laissent entendre que Jésus ne pourra être comblé que s'il ignore le lien qui l'unit à Dieu. Jésus déjoue ces tentatives de lui dérober son identité en réorientant le dialogue: il ne s'agit pas de rechercher sa propre satisfaction, mais de rendre un culte à Dieu.
En réponse à la tentation de se nourrir en transformant des pierres en pains, Jésus proclame la qualité nutritive de la parole de Dieu; en réponse à la tentation de sauter du haut du temple pour voir si les anges empêcheraient sa chute, il déclare qu'on ne doit pas mettre Dieu à l'épreuve; et en réponse à la tentation d'obtenir la possession des royaumes du monde en échange d'un culte rendu au diable, Jésus s'engage à ne reconnaître que Dieu seul. Ainsi que l'illustre cet exemple, la prière qui surmonte une telle tentation ne consiste pas à prier pour que Dieu serve l'humanité, mais pour que l'humanité serve Dieu.
Dans l'Évangile selon Matthieu, à la fin du récit de cette tentation, il est dit qu'au moment où Jésus proclame que son seul mobile est de servir Dieu, le diable s'en va (voir Matth. 4:10, 11). Les paroles que prononce ensuite Jésus, relatées dans l'Évangile selon Luc, indiquent qu'il a véritablement triomphé de l'épreuve et qu'il a compris ce que signifie être le Fils de Dieu. En renversant la tentative que le diable avait faite de définir l'oint comme celui qui accomplit des miracles pour se satisfaire, se protéger et se glorifier, Jésus annonce qu'il a été oint par Dieu pour apporter la bonne nouvelle aux pauvres, la vue aux aveugles et pour donner la liberté aux opprimés (voir Luc 4:18-19). Une fois sa véritable identité bien établie, Jésus commence sa mission de guérison.
Cependant, ce n'est pas la dernière fois que Jésus rencontrera la tentation. Tout au long de son ministère, Jésus fait face à des tentatives visant à lui dérober son identité, tentatives qui prennent des formes de plus en plus subtiles, et que Jésus rejette avec la même détermination. Le mot grec utilisé pour décrire les tentations du diable, peirazo, réapparaît lorsque les pharisiens demandent à Jésus de leur donner un signe et qu'ils le mettent à l'épreuve au sujet de la loi. De la même façon, le rejet qu'oppose Jésus aux tentations du diable dans le désert, « Retire-toi, Satan », se retrouve dans son rejet de l'argument de Pierre qui lui affirmait que son ministère devrait être libre de toute souffrance et ne pas se terminer par la crucifixion (voir Matth. 4:10; 16:23). Jésus refusa constamment de céder au mensonge prétendant que son identité était fondée sur un désir intéressé et non sur le désir de servir Dieu et Ses enfants.
À l'instar du Psalmiste, Jésus indique qu'on triomphe systématiquement des tentatives de vol d'identité en fondant son identité sur la torah, autrement dit la loi, l'enseignement et les directives de Dieu. D'ailleurs, toutes les réponses que donne Jésus aux tentations du diable sont tirées du Deutéronome, le dernier livre de la Torah (voir Deut. 8:3; 6:13, 16). Comme les justes du premier psaume, qui réfutent la suggestion de séparation d'avec Dieu en méditant la torah de Dieu jour et nuit, Jésus a recours à la Torah comme moyen de défense définitif contre les tentations du diable. Ces tentations, comme le complot des nations, dans le psaume 2, paraissent peut-être insurmontables, mais elles n'ont aucun fondement. Mensonges concernant notre identité, elles ont leur origine dans l'hypothétique « Si... » du diable, et non dans l'inébranlable « Il est écrit... » de la loi divine. Face à la connaissance de soi, appuyée sur le rire et la loi de Dieu, elles sont contraintes de fuir.
