A l'époque où mes frères et moi avons atteint l'âge où nous pouvions lire la parabole de Jésus relative aux ouvriers dans la vigne Voir Matth. 20:1–16., nous savions que, si le Seigneur venait à recruter dans notre quartier, papa nous enrôlerait dès le premier appel du matin.
Pour notre père, il n'y avait pas de démarcation bien définie entre le travail et la religion. Il se trouvait toujours du travail à faire: tondre le gazon, balayer les feuilles mortes, tenir à jour une feuille de route, faire les devoirs scolaires et étudier les leçons après le repas du soir ou les jours de congé, creuser des rigoles d'irrigation durant les vacances d'été. Ce n'était pas seulement parce que cela nous faisait du bien. Il fallait que ce soit fait pour glorifier et honorer Dieu. On nous avait enseigné que si nous travaillions dur, nous serions bénis.
Maintenant, j'exprime souvent ma gratitude pour une éthique de travail si stricte et pour l'importante leçon qu'elle nous a donnée. Les qualités de caractère qu'elle avait développées en moi m'ont soutenu dans bien des combats de l'existence. Mais j'en vins à m'apercevoir que j'avais également adopté une attitude de supériorité envers ceux qui ne travaillaient pas, du moins dans le sens défini par mon père.
L'un des plus anciens souvenirs d'enfance dont je conserve la mémoire est celui du jour où, descendant une rue de la ville, je passai devant un vagabond aux vêtements chiffonnés, assis en train de mendier, au beau milieu du trottoir, son chapeau à la main. Mon père me dit: « Ne t'occupe pas de lui ! » Cela donna à l'enfant que j'étais la conviction qu'il n'y avait rien d'autre à faire, en pareille situation, que de m'en laver les mains. Il n'est donc pas étonnant que la proposition que j'avais apprise à l'église, selon laquelle ceux qui commençaient leur travail au lever du soleil et ceux qui ne se pointaient que juste avant la fin du jour recevaient le même salaire, me semblait des plus inéquitables.
Ce n'est que bien des années plus tard que j'acquis un sens plus spirituel des paroles de Jésus selon lesquelles « les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers », donc un concept plus élevé de l'éthique du travail.
Après avoir déclaré qu'un système qui honore Dieu devrait recevoir de l'aide et non de l'opposition, Mary Baker Eddy continue ainsi: « Et la Science Chrétienne honore véritablement Dieu, comme aucune autre théorie ne l'honore, et elle le fait selon Ses décrets, en accomplissant beaucoup d'œuvres merveilleuses grâce au nom divin et à la nature divine. Chacun doit remplir sa mission sans timidité ni dissimulation, car, pour être bien fait, le travail doit être accompli sans égoïsme. » Science et Santé, p. 483.
La nécessité de ne pas être égoïste devint flagrante lorsque mes activités durent être transférées dans un autre quartier. Sur le chemin que je parcourais depuis la station de métro, il y avait quantité de désœuvrés qui, très souvent, étaient ivres. Leur présence provoquait en moi un profond sentiment de malaise. Tout d'abord, j'aurais voulu qu'ils se rendent compte de l'erreur qu'ils commettaient en ne travaillant pas.
Cependant, je me rendis compte que ce n'était pas de la vraie sympathie que j'éprouvais pour ces hommes, mais un sentiment de supériorité et de mépris. Je me rendis compte que, chaque fois que mon chemin croisait celui de ces désœuvrés, d'une manière égoïste, je me voyais, moi, comme faisant mon propre travail, et je les voyais, eux, comme étant sans emploi, alors que j'aurais dû voir qu'eux et moi, nous étions appelés à travailler dans la même vigne. Je croyais fièrement que, parce que je travaillais, ma vie avait une signification et me donnait de l'importance et que pour eux, parce qu'ils n'avaient pas de travail, leur vie n'avait aucun sens et était sans importance. J'étais le premier; ils étaient les derniers.
Mais je finis par saisir qu'être appelé tôt à travailler dans la vigne de Dieu non seulement fait comprendre pourquoi l'on travaille, mais aussi confère la responsabilité d'accomplir d'abord le travail de Dieu, ce qui implique nécessairement d'aimer son prochain.
Au fur et à mesure que les implications de la parabole des ouvriers dans la vigne pénétraient ma pensée, le sentiment erroné de ma propre importance cédait au concept spirituel de la situation: ces hommes désœuvrés étaient, dans un sens, mes compagnons de travail. Je compris que, dans l'univers de Dieu, personne n'est sans emploi, personne n'est inutile. L'enfant de Dieu, créé à Sa ressemblance, n'est ni un mortel inférieur, ni un mortel supérieur: il est l'expression immortelle, infiniment précieuse, de la nature divine, et il poursuit le chemin que Dieu a tracé pour lui.
Je sus qu'il il me fallait voir, devant moi, non pas seulement un être humain unique, résolu et digne de considération, mais l'enfant parfait de Dieu, enveloppé dans les bras de l'Amour divin. Il me devint évident que celui qui est touché par l'amour de Dieu ne peut être inutile, faussement dépendant. Chaque ouvrier, dans la vigne de Dieu, possède le pouvoir, qui lui est donné par Dieu, d'accomplir une mission qui a un but. Ce dont nous avons besoin, c'est de la vision spirituelle qui nous permet de voir, au-delà du concept limité de l'homme, sa véritable identité spirituelle. De cette manière, nous pouvons aider les gens à améliorer le concept qu'ils ont d'eux-mêmes; et cela peut les amener à élever leur vie.
Même si leur aspect actuel semblait contraire à la vraie nature de l'homme, je commençais à comprendre que ces gens avaient une tâche qui leur était assignée par Dieu: tôt ou tard, ils finiraient par s'en rendre compte.
Ne pouvons-nous pas, dans notre travail quotidien, affirmer que nous avons, ainsi que tous ceux avec qui nous entrons en contact, « beaucoup d'œuvres merveilleuses » de Dieu à accomplir ?