Alors que je me promenais sur le sentier familier de mon ancienne université, chaque détour du chemin éveillait en moi le souvenir lointain d'un ami particulier, d'un mentor plein d'inspiration, d'une nouvelle étape dans ma vie, d'une réussite durement acquise ou d'une bonne plaisanterie. Même le souvenir de déceptions passées avait un goût agréable. Mais avant de m'aventurer trop loin sur cette route, je me suis ressaisie. Je commençais à ressentir un sentiment de perte et de chagrin devant la disparition de ma vie passée. J'ai compris que mes pensées s'étaient égarées jusqu'à porter un jugement sur cet endroit cher à ma mémoire, en établissant des comparaisons entre mes années d'études et le présent. Plutôt que d'être plongée dans une nostalgie profonde et pleine de tristesse, en pensant à tous les amis et toutes les traditions qui s'étaient perdus en chemin ou qui avaient considérablement changé, je me suis demandé: « Cet endroit doit-il rester le même pour conserver tout son lustre pour moi ? Dois-je rechercher l'institution parfaite et illusoire que je croyais exister dans le passé, ou plutôt trouver le moyen de satisfaire à mon besoin de rendre miennes, de façon plus durable, les idées enrichissantes et pleines d'inspiration que cette institution m'a apportées ? » Ces amis proches, ces individus qui me donnaient de l'inspiration, ces travaux audacieux qui m'avaient permis d'étendre mes capacités, avaient disparu. Mais étaient-ils réellement partis ? Non. Ils étaient toujours présents au plus profond de moi, comme des trésors toujours à ma disposition, et que je pouvais utiliser dans le présent. Je pouvais encore mettre en œuvre le sérieux dont j'avais fait preuve en étudiant pendant de longues heures pour terminer un projet. Je pouvais communiquer aujourd'hui à d'autres les paroles d'encouragement pleines de gentillesse que j'avais reçues alors. Je pouvais conserver dans mon cœur ces individus qui ne faisaient plus partie de mon existence et dont j'avais admiré la force de caractère, et même continuer à vivre leurs qualités dans ma propre vie.
J'ai commencé à comprendre l'importance d'apprécier, mais non d'idolâtrer, les bonnes choses que j'avais connues par le passé. J'ai compris que, parce que la source de tout bien est le Dieu infini, nous n'avons pas besoin de regarder avec envie les choses du passé. Bien au contraire, nous pouvons nous attendre à voir des manifestations nouvelles et actuelles de ce bien dans notre vie, maintenant même. Je me suis souvenue de ces paroles tirées d'un de mes cantiques préférés: « Notre présent est embelli des bonnes choses du passé » (Hymnaire de la Science Chrétienne, n° 238).
J'ai compris que la nostalgie n'était qu'un piège de la mémoire. Et j'ai compris que le regret en était un autre auquel j'avais besoin de faire face. Une étude récente de la Bible m'a apporté une vision nouvelle. Par exemple, quelques lignes d'un poème de Estelle Gershgoren Novak concernant la femme de Lot m'ont interpellée:« Elle s'est retournée avec nostalgie et a été transformée en sel, le sel de ses larmes » Nashim:Journal d'Étude des Femmes Juives et Problèmes de différence entre les sexes, Juin 2003, p. 182.
La femme de Lot été changée en statue de sel lorqu'elle s'est retournée pour regarder tomber les villes de Sodome et Gomorrhe, après qu'on lui eut spécifiquement ordonné de ne pas le faire (voir Genèse 19:17,24-26). J'avais appris pendant des cours sur la Bible à l'université que certaines histoires bibliques donnent une description poétique des évènements, au lieu d'en faire un récit entièrement littéral. Par ailleurs, à cause du vocabulaire limité de l'ancien hébreu, les écrivains de l'Ancien Testament ont embelli parfois leurs histoires pour faire passer correctement leur message. Cela peut très bien avoir été le cas dans le récit concernant la femme de Lot. Parce qu'elle s'était retournée avec beaucoup de tristesse et de regret, que ce soit en termes poétiques ou métaphoriques, elle a été submergée par un flot de larmes salées. La description de sa transformation en statue de sel a donné le parfait exemple de la profondeur de son chagrin.
J'ai pris conscience que moi aussi, comme la femme de Lot, j'éprouvais d'amers regrets concernant certains évènements de mon histoire personnelle et que j'avais besoin de les reconsidérer. Comme l'écrit Mary Baker Eddy dans son autobiographie Rétrospection et Introspection:« L'histoire humaine a besoin d'être révisée, et le souvenir matériel effacé. » (p. 22) J'ai donc décidé de débarrasser ma pensée de cette amertume, de ces « larmes de sel », en revenant au tout début de mes souvenirs et en les considérant dans une lumière plus spirituelle. Faisant cela, j'ai découvert dans ma vie des moments que j'avais perçus comme tragiques, marqués de malchance, de compromissions et où j'avais manqué d'un guide. J'ai senti que ces souvenirs, cette accumulation d'histoires humaines, avaient fortement façonné mon identité, et pas dans le bon sens.
J'ai pris le temps de me rappeler le plus d'expériences passées que je le pouvais, et ensuite de les corriger dans ma pensée avec le fait spirituel que seul le bien s'était déroulé dans ma vie. En priant pour me débarrasser de tous ces regrets, j'ai commencé à me souvenir aussi bien de personnes qui avaient joué pour moi le rôle de guides et de protecteurs, que d'événements qui m'avaient apporté de l'inspiration à différentes étapes de ma vie. Après avoir terminé cet exercice mental, je me suis sentie une personne nouvelle – régénérée, riche en esprit, et tendrement aimée. J'ai réalisé toute la tendresse, la compassion, la sagesse, l'instruction, et la direction qui m'avaient accompagnée sous diverses formes dans tous les moments de mon histoire passée. La source de tout bien, l'Amour divin, avait toujours été là, que j'en sois ou non consciente. Et je me suis sentie plus certaine que jamais que le bien serait toujours la seule histoire vraie de ma vie.
Comme le dit le Psalmiste:« Oui, le bonheur et la grâce m'accompagneront tous les jours de ma vie » (Ps. 23:6). Aujourd'hui, lorsque des sentiments de nostalgie sirupeuse ou de regrets au goût amer me viennent à la pensée, j'utilise ces moments comme des occasions de découvrir le bien qui a toujours été présent, et qui demeure pour me bénir à l'instant même.
