« ...ce réseau des hommes et des femmes dans le monde qui ont la passion de partager la Bible... »
Telle est la description que le pasteur Bernard Coyault donnait de la double entité dont il est le Secrétaire général, lors d'un entretien avec le Héraut en décembre dernier, dans les locaux de la Société biblique près de Paris. L'Alliance biblique et la Société biblique sont deux branches d'un même arbre. La première est une association à but non lucratif, qui reçoit des dons afin de financer des recherches, des traductions, de nouveaux vecteurs de communication de la parole biblique, la seconde est la société d'édition chargée de la production des livres, et qui a pris depuis peu la marque commerciale Biblio. (Alliance biblique et Biblio assurent à peu près 40 % de la distribution des bibles en France.) Voici des extraits de cet entretien.
Quel a été votre parcours personnel avant d'accéder au poste que vous occupez actuellement ?
Alors que j'étais encore étudiant, et suite à l'appel de Dieu dans ma vie, je me suis engagé dans des études de théologie protestante pour devenir pasteur. J'ai été d'abord pasteur de l'Église réformée en Ardèche, puis en Égypte, avec les communautés protestantes francophones et arabophones, au Caire et à Alexandrie. De retour en France, j'ai travaillé pour le Service Protestant de Mission où j'étais responsable des programmes de formation des écoles de pasteurs en Afrique et dans le Pacifique. Enfin, depuis trois mois, j'occupe mes fonctions actuelles.
Depuis quand cette double entité (Société biblique et Alliance biblique) existe-t-elle en france ?
La Société biblique est née en 1818 au sein des églises protestantes. Elle était héritière de la première société, la Société biblique britannique et étrangére, qui est née en 1804, avec les courants de réveil religieux du XIXe siècle.
L'Alliance biblique est en « communion » avec 141 structures similaires dans le monde, entre lesquelles s'exercent diverses solidarités, le partage des ressources, etc.
À l'origine, c'était une œuvre protestante, puis il y a eu un tournant, dans les années 70 au niveau mondial, avec une ouverture aux autres confessions chrétiennes, en particulier à l'Église catholique.
Ainsi, dans notre conseil d'administration figurent des représentants de différents mouvements: catholiques, luthériens, baptistes, pentecôtistes, orthodoxes. Parmi nos fort nombreux donateurs, paroisses ou individus, on retrouve de même une grande diversité: des gens qui ne seraient jamais ensemble autrement, et qui soutiennent notre cause. Si la Bible a souvent divisé les chrétiens dans l'histoire, aujourd'hui elle les ressemble.
C'est ce qui me passionne, personnellement, dans mon travail: ce projet de partager la Bible, de la mettre à portée des gens, est réalisé ensemble avec d'autres chrétiens, et aussi dans cette dimension internationale, car les traductions ou les projets qu'on va développer ici en France vont être utilisés un peu partout dans la francophonie.
La France est le premier pays à avoir initié une traduction œcuménique de la Bible, la TOB. D'autres pays ont suivi le mouvement depuis lors. Il aura donc fallu attendre presque 2000 ans pour que les chrétiens arrivent à se mettre ensemble pour traduire la Bible !
Dans cette même démarche interconfessionnelle, avez-vous publié d'autres traductions depuis la TOB?
Oui, il y a par exemple la Bible en français courant (FC), qui a été conçue avec le souci d'utiliser une langue compréhensible par nos contemporains. En effet, une langue évolue constamment, et il convient aussi de prendre en compte les découvertes scientifiques concernant les langues originales, l'hébreu, le grec... C'est pour cela qu'il y a de nouvelles traductions de temps en temps.
Il en va de même pour la Bible Parole de vie, qui est aussi une vraie traduction, et non une adaptation. C'est une traduction en « français fondamental », c'est-à-dire reposant sur un vocabulaire de 3500 mots et s'adressant notamment à un public dont la maîtrise du français est réduite.
Ensuite, il y a maintenant La Bible expliquée (BE). Elle s'appuie sur la FC, mais ajoute des notes explicatives sur le contexte de chaque passage. Les gens ne connaissent plus la Bible, ils ont envie d'y entrer, mais n'osent pas ou jugent que c'est trop compliqué pour eux, et la BE donne des clefs de lecture, mais non doctrinales. La Bible est née dans un contexte culturel assez éloigné du nôtre et l'objectif de ces notes est d'aider le lecteur à franchir cet écart pour qu'il puisse aussi trouver dans la Bible des réponses à ses questions existentielles, qui sont aussi les grandes questions de l'humanité.
Cette Bible expliquée a beaucoup de succès dans les librairies, ce qui nous ravit, car elle répond à notre mission: servir le grand public. La Bible est un repère essentiel auquel chacun doit pouvoir avoir accès. Alors si les gens ne viennent plus à l'église, ils doivent pouvoir la trouver là où ils vont, c'est-à-dire dans les commerces de grande distribution comme Auchan ou la Fnac.
Quels sont vos projets en ce moment ?
L'Alliance biblique prépare la « Bible des jeunes » qui sortira en 2009, une bible expliquée, qui aidera les jeunes à entrer dans la Bible. Elle s'adresse aux 16-18 ans qui ne fréquentent pas les églises et n'ont pas de culture biblique, mais un intérêt pour des questions spirituelles. Il s'agit de leur donner des clés d'entrée dans la Bible, des commentaires des textes bibliques, des introductions, des thématiques, des pistes de lecture, mais c'est une grande entreprise. Cent rédacteurs sont mobilisés sur le projet ! Notre ambition est de pouvoir l'offrir à un prix inférieur à 25 euros (alors que le coût de production se situerait sans doute autour de 40 euros).
Par ailleurs, en France, il y a des centaines de milliers de sourds et malentendants qui n'ont pas pu apprendre à lire, et qui n'ont pas accès à la Bible. Nous travaillons à la traduction de l'Évangile de Luc en langue des signes française qui sera présentée sur un support DVD. Mais c'est très long, parce que cela doit être une vraie traduction, et parfois le vocabulaire biblique n'existe pas. Comment dire « rédemption » par exemple ? Il faut inventer les signes dans un vocabulaire spirituel, puis faire le scénario, le tester auprès de malentendants. Il faut que ce soit beau et explicite. Puis il faudra trouver des comédiens qui vont l'exprimer le mieux possible, et ensuite filmer. Tout cela pour que davantage de gens connaissent l'amour de Dieu et la bonne nouvelle de Jésus-Christ.*
Et la Bible Segond ?
La Bible Segond et ses diverses révisions sont encore très lues. Surtout en Afrique, on reste très attaché à la Bible Segond. Il y a par an 350 000 exemplaires qui sont diffusés dans le monde, dont 100 000 en Haïti, 100 000 en R.D.C. (Congo Kinshasa), et le reste dans les différents autres pays. Au sein de la francophonie biblique, la France tient une toute petite place !
Puisqu'on parle de la R.D.C., avez-vous des actions particulières en Afrique ?
Oui, mais il faut préciser un point: il y a dix ans, l'Alliance biblique universelle, dont le siège est à Londres, confiait tout à la France pour la francophonie. C'était un peu, dirons-nous, paternaliste. Ces dernières années, les sociétés bibliques sœurs ont gagné plus d'autonomie, et je pense que c'est très heureux. Mais nous maintenons toujours une bonne collaboration avec les sociétés bibliques africaines.
Et les besoins sont énormes. Il faut donc qu'il y ait une solidarité entre toutes les sociétés bibliques, les plus riches aidant les moins fortunées pour que partout la Bible soit diffusée. La France contribue en coordonnant les nouvelles traductions. L'objectif est que le prix de vente des bibles ne dépasse pas deux jours de salaire. La R.D.C., par exemple, est le plus grand pays protestant francophone. L'alliance biblique de ce pays est loin de répondre à la totalité des besoins. Et je ne parle là que de la Bible en français, mais il y a aussi de nombreux projets de traduction dans d'autres langues: les grandes langues de communication comme le lingala, le kikongo, le tchilouba et le swahili, mais aussi quantité de langues plus petites.
Et le défi ne s'arrête pas là. En fait, dans de nombreux pays, on rencontre trois types de défis:
1. Il faut traduire la Bible dans les langues qui n'en disposent pas encore, ou éventuellement retraduire parce que la première traduction, trop ancienne, est devenue incompréhensible.
2. Il peut exister des difficultés particulières pour les chrétiens qui, dans certains pays, n'ont pas le droit d'afficher leur foi.
3. L'illétrisme. Sur les six milliards d'humains un milliard et demi ne savent pas lire.
Alors si la mission des sociétés bibliques est de mettre la Bible à portée des gens, il faut leur apprendre à lire. Donc, quand il y a une nouvelle traduction, les sociétés bibliques lancent souvent dans le même temps des programmes d'alphabétisation.
Il y a aussi de nouveaux outils comme le Mega Voice: c'est un petit appareil avec une batterie solaire, qui contient le Nouveau Testament (ou plus) en version audio. C'est un petit prodige de technologie. Nous allons en envoyer 1000 dans un pays du Maghreb en version bilingue français-arabe. Des groupes de femmes par exemple seront amenés à l'utiliser. Là aussi nous devons faire appel à nos donateurs. Nous relayons certains de ces projets auprès d'eux, qu'ils concernent la France ou l'étranger.
En Europe, les gens ont toute liberté, ainsi que les moyens financiers, pour s'acheter une bible... mais ils ne la lisent guère ! Alors en France, en Angleterre, dans les pays scandinaves, l'une des missions des sociétés bibliques est de redonner le goût et l'envie de lire la Bible !
Comment présentez-vous donc la Bible et sa signification au public européen de notre époque, que l'on dit a priori peu religieux et plutôt matérialiste ?
Je ne crois pas que les gens sont areligieux. Je pense qu'ils ont une quête spirituelle. Ils n'ont plus d'absolus ni de grandes certitudes, mais la spiritualité est là: la recherche d'un sens à sa vie, la conscience de la fragilité de l'existence, le désir de trouver un absolu de la bonté, de la beauté, tout cela, les gens l'ont au fond d'eux. En fait il y a un renouveau pour l'étude biblique, en particulier dans l'Église catholique.
Notre objectif est d'ouvrir la porte pour que les gens entrent eux-mêmes dans la Bible. Surtout pas de leur dire ce qu'il faut penser ou croire !
Les expositions bibliques sont un bon moyen de susciter l'intérêt. Notamment la grande exposition qui raconte comment la Bible est née, comment elle a été transmise, quels sont les manuscrits anciens à notre disposition, comment elle a été traduite à travers l'histoire, ainsi que son chemin avec l'imprimerie, avec l'humanisme qui est un retour aux textes originaux, et jusqu'à nos jours. Cette exposition « grand public » a été présentée de ville en ville depuis plus de 25 ans. En général ce sont les églises qui nous la demandent, c'est souvent une démarche interconfessionnelle, associant parfois la communauté juive, et même musulmane. Elle est souvent présentée dans un lieu laïque, comme une salle municipale, etc.
Il y a aussi la semaine de la Bible: chaque année en octobre ce programme remet un coup de projecteur sur la Bible, au travers de propositions d'études bibliques sur un thème précis, pour donner aux gens l'envie de s'y replonger.
Encore une fois, nous ne cherchons pas à donner une interprétation autorisée... D'ailleurs, la Bible ne prend vie dans notre vie que parce qu'il y a l'esprit de Dieu qui agit, la Bible sans le Saint-Esprit reste une lettre morte.
L'une de ces activités de communication vous tient-elle particulièrement à cœur ?
Je dirais que c'est la réflexion menée avec les aumôneries de prison sur la promotion de la Bible en prison. Savez-vous que l'endroit où on lit le plus la Bible, c'est la prison ? Il y a plus de groupes bibliques en prison que dans toutes les paroisses des communautés chrétiennes en dehors ! C'est un endroit où on fait le bilan de sa vie. On est dans la solitude, on rencontre des difficultés, un climat dur, et du coup la foi, la quête spirituelle, se réveille.
Alors nous réfléchissons avec des aumôniers sur des façons d'apporter la Bible à des prix abordables, et surtout avec des outils d'aide à la lecture pour les groupes de détenus. Par ailleurs notre projet n'est pas seulement d'aider les « pauvres prisonniers », mais c'est aussi de faire en sorte que la richesse de ce qui est partagé autour de la Bible en milieu carcéral puisse aussi profiter à ceux « du dehors ».
Cet entretien va être publié dans un numéro dont le thème est « La Bible, un guide pour la vie ». Auriez-vous une expérience, personnelle ou observée dans votre ministère de Pasteur, qui illustre et appuie ce sujet ?
Je pense spontanément à ma grand-mère, décédée depuis longtemps. Son témoignage m'a beaucoup marqué. Elle venait d'un milieu rural, et avait presque appris à lire avec la Bible. Je me souviens enfant de la voir tous les jours lire sa Bible, de 15 h à 16 h. Ensuite, elle allumait la radio pour écouter l'émission culturelle « Radioscopie » qui l'ouvrait sur le monde... C'est un symbole pour moi: la Bible nous ouvre à la présence de Dieu, mais elle nous invite aussi à nous ouvrir aux autres et au monde. J'ai toujours conservé la Bible que ma grand-mère m'avait offerte et qu'elle m'avait dédicacée avec ce verset: « Ta parole est une lampe à mes pieds, et une lumière sur mon sentier. » (Ps. 119:105). Je suis sûr qu'elle serait ravie aujourd'hui de me savoir dans ce ministère !
Quand j'étais pasteur et aumônier de prison en Ardèche, j'ai aussi souvenir de toutes ces discussions passionnantes avec les détenus, des gens qui n'avaient pas une lecture très conventionnelle de la Bible. Parfois, à un certain point, il y avait vraiment une rencontre qui se faisait entre le prisonnier et la Bible. Au travers de telle ou telle parabole de Jésus, ou le récit de la femme Samaritaine, etc., c'est un chemin qui s'ouvrait, une réponse qui était donnée...
Pour plus d'information sur l'Alliance biblique, rendez-vous sur le site www.la-bible.net
Si vous souhaitez connaître et soutenir, par exemple, le projet de l'Évangile en langue des signes française (LSF), visitez le site www.la-bible.net/LSF