Shi-masana était âgée de quatre-vingt-cinq ans environ lorsque nous nous sommes rencontrées. Elle débordait de vitalité et d’amour, riait beaucoup et avait un merveilleux sens de l’humour. Notre amitié dura vingt ans, et son amour pour Dieu ne faiblit jamais.
Son existence ne fut pas facile au sein de la nation Navajo: elle dut élever seule ses enfants, prendre soin de sa terre et de ses moutons dans le Canyon de Chelley, mais on considérait qu’elle avait réussi. Or, dix ans avant que nous fassions connaissance, Shi-masana commença à se sentir de plus en plus faible.
Tandis que son état de santé se détériorait, elle découvrit que son cousin avait recours à la sorcellerie dans le but de la tuer. Ce cousin avait exprimé le souhait d’être en compagnie de Shi-masana le plus souvent possible, et il passa donc de nombreuses heures dans la demeure de celle-ci. Pendant tout ce temps, il préparait des potions et accomplissait certains rites afin de la faire mourir. En me relatant cette histoire, la fille de Shi-masana était persuadée que le cousin avait des mobiles très simples: il était jaloux de sa mère et de ce qu’elle avait accompli — son troupeau était plus grand que le sien. America’s Fascinaing Indian Heritage résume ainsi les raisons de cette pratique: « En général, les sorciers désirent à la fois se venger et s’enrichir. » James A. Maxwell, ed., America’s Fascinating Indian Heritage (Pleasantville (New York), U.S.A.: The Reader’s Digest Association, Inc., 1978), p. 240.
Avant cette expérience, Shi-masana avait toujours accordé autant de pouvoir au mal qu’au bien, et le mal était souvent le vainqueur. Elle acceptait ce fait, comme beaucoup de gens à travers le monde, cela faisait simplement partie de l’existence. Or, à l’époque où elle tomba gravement malade, elle était parvenue à un carrefour. Selon les croyances des Navajo, son cousin s’était associé au mal, et il lui fallait résister à cette influence si elle voulait vivre. « Si tu crois à la sorcellerie, elle te tuera. Tu dois t’en écarter et croire seulement en Dieu, croire que Dieu t’aime et qu’Il éliminera tout mal de ton esprit et de ton corps. » Ces paroles furent prononcées avec beaucoup de tendresse par la fille de Shi-masana, tandis que la vie de sa mère s’éteignait un peu plus chaque jour. Par eette affirmation, elle reconnaissait que Dieu était l’Amour omnipotent, plus puissant qu’un prétendu mauvais esprit. Quand Shi-masana accepta ce fait, elle fut complètement guérie.
Voici ce que comprit Shi-masana, et ce qui la délivra des effets de la sorcellerie: la totale impuissance, le néant, des pensées pernicieuses et le pouvoir absolu de Dieu, l’Amour. Cette certitude de l’omnipotence de l’Amour imprégna ses pensées, et elle cessa de croire que le mal avait une existence légitime et qu’il était une sorte de partenaire du bien.
Souvent, le mal se présente sous la forme d’un vide, où l’on est dépourvu de toute affection. Cependant, à mesure que nous ressentons la tendresse et la sollicitude dont l’Amour infini nous entoure, nous prenons conscience du fait qu’il est impossible à l’Amour d’oublier même l’espace le plus minuscule qui soit. Cette prise de conscience chasse tout naturellement la peur associée à la croyance dans la réalité du mal. L’apôtre Jean l’énonce comme une loi à laquelle nous pouvons obéir: « La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte. » I Jean 4:18. Il n’est pas étonnant qu’après cette guérison, Shi-masana ait exprimé tant d’amour; l’amour lui avait rendu la vie.
Le souvenir du récit de cette guérison m’a ouvert les yeux sur la façon dont le mal opère. Et il m’a montré comment agir face au mal, même quand il semble bien réel et sinistre. Peu importe la forme qu’il prend, le mal n’est pas une force invincible contre laquelle nous ne pouvons nous défendre. Lorsque nous comprenons la totalité et l’omnipotence de Dieu, le bien, personne n’a le pouvoir de canaliser des forces ou des énergies afin de nous manipuler, de nous dominer ou de nous nuire.
Voilà des paroles bien réconfortantes. Elles s’appuient sur un antidote puissant, la loi divine: Dieu est Tout. Cette loi ne laisse aucune place au mal. Elle proclame qu’il existe un Dieu omnipotent et omniprésent qui, de par Sa nature, est bon. Science et Santé déclare: « Puisque Dieu est Tout, il n’y a pas de place pour Sa dissemblance. Seul Dieu, l’Esprit, créa tout, et dit que cela était bon. Donc le mal, étant contraire au bien, est irréel et ne peut être produit par Dieu. » Science et Santé, p. 339.
La Bible nous donne d’abondants exemples de prophètes et de patriarches qui vainquirent les effets du mal en s’en remettant fidèlement à Dieu. Daniel, jeté, par la jalousie de ses semblables, dans une fosse de lions affamés, savait que la main de l’Amour fermerait la gueule des animaux. Voir Dan. chap. 6. David n’éprouva aucune haine envers Saül alors que celui-ci le pourchassait impitoyablement, envieux de David considéré comme le meilleur guerrier. Voir par exemple I Sam. chap. 24. Et Jésus, mis sur la croix par ceux qui souhaitaient le voir mort, supplia: « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Luc 23:34. Il fut ainsi capable de démontrer la réalité de la vie éternelle.
Dans le passage suivant, Science et Santé offre une autre perspective quant à la façon de traiter le mal: « Si l’Entendement est au premier rang et supérieur, ayons confiance en l’Entendement, qui n’a pas besoin de la coopération de puissances inférieures, quand bien même ces prétendues puissances seraient réelles. » Science et Santé, p. 144. Quand nous comprenons cela, nous nous rendons compte que les forces du mal, même si elles existaient (et nous savons qu’elles n’existent pas), resteraient impuissantes face au seul bien omnipotent.
Ceci dit, on pourrait se demander: « S’il n’y a pas de forces du mal, qu’en est-il de celui qui fait le mal? » Nous apprenons en lisant l’Épître aux Galates que « ceux qui commettent de telles choses n’hériteront point le royaume de Dieu » Gal. 5:21.. Néanmoins, nous ne devrions pas en rester là. Il ne suffit pas de simplement « laisser tomber » quelqu’un en considérant qu’il s’est séparé de Dieu. Au lieu de l’ignorer, de le craindre ou de le haïr, il nous faut voir qu’en réalité, ni lui ni quiconque n’est l’instrument du mal; qu’il est la ressemblance de l’Entendement, et à ce titre, il est innocent et ne peut être au service du mal.
Il est aussi très utile de chercher à discerner précisément les qualités de cette personne et d’affirmer qu’elles représentent ce qui est vrai à son sujet. L’amour et la compassion qui lui sont naturels sont peut-être obscurcis par la jalousie et la peur. La faculté naturelle de réussir est peut-être pervertie par la cupidité.
Toute la bonté que nous percevons — et parfois nous devons chercher pendant longtemps pour en voir un signe — c’est ce que nous devons affirmer comme étant vrai au sujet de cette personne, l’enfant de Dieu. D’ailleurs, les qualités sont la substance même de son être, et le masque du mal ou de la sorcellerie ne peut les cacher. Une telle prière, faite avec persévérance, permet de mettre en lumière la véritable nature spirituelle de cette personne. Elle nous libère de l’hostilité qu’elle ressentait peut-être envers nous, et décharge ses épaules du fardeau des ténèbres.
J’ai vu Shi-masana pour la dernière fois, il y a quelques années. Elle était presque centenaire et continuait de garder son troupeau. Je lui demandai ce qui la faisait vivre si longtemps. Un doux sourire éclaira son visage quand elle répondit dans la langue des Navajo: « J’aime Dieu et je vis pour Lui. »
