Comme de l'eau sur les plumes d'un canard
Les deux entretiens qui suivent abordent la question du racisme. Tout d'abord, il s'agit d'une conversation entre deux amis, qui réfléchissent à un incident survenu il y a plusieurs années. Ensuite, le Héraut présente une interview avec l'épouse parisienne de Jim, un Noir américain.
Dave Hohle: En repensant à cette soirée, je me rappelle que j'essayais de comprendre ce qui se passait. Puis, si je me souviens bien, je me suis soudain rendu compte que ces jeunes s'adressaient à toi. Je t'ai regardé, et tu n'avais aucune réaction, tu ne montrais aucune peur, aucune haine. Absolument pas d'attitude négative.
Jim Brown: Tu sais, je peux remonter assez loin dans mon enfance. Le racisme, le sectarisme, ce genre de choses, n'étaient jamais abordés autour de la table familiale et nous n'en avons pas été imprégnés. Même très jeunes, mes frères et moi n'avons pas pris l'habitude de penser que nous étions des gens qu'on persécutait ou qu'on harcelait. Nous ne considérions pas non plus que nous devions répondre de la même façon (ou pire) parce que, d'une manière ou d'une autre, on nous avait blessés.
Bien sûr, le racisme sévissait autour de nous. Nous savions que cela existait. Nous savions que pour beaucoup de gens, c'était un problème, mais nous n'étions pas concernés. Et ce qui est remarquable, c'est que dans le quartier où nous avons grandi, à Colombus, dans l'Ohio (États-Unis), nous n'avions pas le sentiment que c'était vraiment un problème pour nous. Nous avions le droit d'avoir notre opinion et de prendre nos propres décisions quant à la façon dont nous voulions aborder ce problème.
Dave: Autrement dit, on ne vous a pas avertis en vous disant: « Vous allez être victimes du racisme, tenezvous sur vos gardes, etc. »
Jim: Non. Par bonheur, personne ne nous a inculqué cette peur et nous n'avons pas reçu ce genre d'éducation. Ça ne faisait pas partie de notrevie de famille.
Ce qui fait que lorsqu'on devient adulte, on réagit déjà en se que n'est pas de « moi » qu'ils parlent. Et c'est exactement ce que je pense. J'ai vécu plusieurs incidents de ce genre quand j'étais enfant et depuis que j'ai atteint l'âge adulte, mais ils ne m'ont jamais blessé. Cela glissait sur moi comme de l'eau sur les plumes d'un canard dans une certaine mesure. Je n'ai jamais pensé que l'ignorance, la haine, la peur manifestées par quelqu'un me concernaient réellement. Et cela m'a préservé de la souffrance ou du désir de rendre la pareille. Ce n'était pas à moi que ça s'adressait. Et dans ce sens, ça n'avait aucune importance.
Dave: C'est donc la raison pour laquelle tu restes si calme.
Jim: Bien entendu, il ne s'agit pas de faire comme si le racisme n'existait pas. Ces gars auraient pu sortir de leur voiture, me courir après et m'insulter face à face, et j'ose espérer que j'aurais eu une réaction similaire à celle que j'ai eue, une réaction qui ne les aurait pas encouragés à continuer. Ce n'est pas parce que j'ai pratiqué le kung fu et d'autres choses de ce genre. Je pense qu'une certaine façon de se comporter dissuade de continuer dans cette sorte d'ignorance et de belligérance.
Dave: Tout à fait. Je pense que tu as fait la démonstration de ce comportement. Tu l'as certainement fait ce soirlà. Je ne me souviens pas vraiment des paroles prononcées, je me souviens simplement de l'impression générale.
Jim: L'éducation que j'ai reçue à l'école du dimanche de la Christian Science et à la maison m'a permis d'avoir un aperçu de ce qu'est l'identité spirituelle, et c'est probablement la véritable raison pour laquelle je ne me sens pas accablé par ces expressions du racisme. Comprendre notre identité spirituelle contribue énormément à nous préserver d'incidents désagréables.
Comme tu sais, ma femme est blanche et française. Je pense que, dans une large mesure, le fait d'être capable d'avoir ma propre opinion sur les chose, d'être capable de comprendre un peu nature mon identité spirituelle, m'a donné la liberté la de mon choix. Et mes enfants fréquentent des jeunes d'autres races et ca ne leur pose pas de problèmes.
Dave: Et tu disais donc que tu as pu épouser la personne de ton choix. Et c'est un mariage qui dure depuis longtemps, je crois?
Jim: Vingt-neuf ans pour être exact.
Dave: Et c'est un mariage heureux, n'est-ce pas? Y a-t-il eu des moments difficiles entre Chrissie et toi ?
Jim: La différence de races n'a jamais posé de problèmes entre nous. Nous avons connu les difficultés habituelles que connaissent les couples mariés et comme tous les couples mariés nous avons dû apprendre à nous comprendre, mais cela n'a rien à voir avec la race. Bien entendu, dans notre situation, ce n'est pas seulement la race. Chrissie est française et donc il y avait aussi des questions culturelles qui auraient pu créer des problèmes, mais ça n'a pas été le cas.
D'ailleurs, voici ce que j'essaie d'inculquer à mes enfants: Vous aurez peut-être besoin de donner une description physique de quelqu'un pour que les gens comprennent de qui vous parlez. Vous utiliserez peutêtre des termes comme Noir, Afroaméricain, personne de couleur, ou autres termes mentionnés dans le dictionnaire. Ça, c'est sur le plan purement humain. Mais ces mots ne le décrivent pas spirituellement. Ils ne décrivent pas son identité créée par Dieu. Le mot « Noir » ne doit jamais devenir plus important que le nom de la personne. Et je ne me sers jamais de ce mot pour me décrire. Il n'y a pas de mal à être noir, mais cela n'a rien d'extraordinaire non plus. Ça n'est tout simplement pas important. Je suis un homme, peu importe le reste.
Un mariage heureux
Chrissie, comment avez-vous rencontré Jim ?
J'étais venue de France, aux États-Unis comme jeune fille au pair. Puis j'ai obtenu une bourse d'étude internationale et je suis allée passer un an dans une université de l'Illinois. C'est là que j'ai rencontré Jim. Il était étudiant de dernière année.
Qu'est-ce qui vous a attiré chez lui ?
Ce sont clairement ses qualités. Je n'ai pas vu de « couleur » ni de nationalité différentes de la mienne. Je suis tombée amoureuse de lui. Il exprimait la douceur, la gentillesse, l'humilité de façon si profonde, presque palpable, et c'est tout ce que j'ai vu. C'est ce qui, en l'espace d'une année, m'a amenée à épouser Jim. Et je continue à voir et à apprécier ces qualités en lui, même après tant d'années de mariage !
Avez-vous eu des défis particuliers à surmonter lorsque vous avez décidé de vous marier ?
Eh bien oui. Ma mère était contre ce mariage. Ce qui m'a vraiment étonnée parce qu'elle avait travaillé à l'Unesco, et elle avait beaucoup d'amis de toute race et de toute nationalité. Je n'aurais jamais cru qu'elle réagirait comme ça. Mais en y repensant je comprends qu'elle avait très peur que les gens ne me rejettent. Elle se faisait du souci pour les enfants que nous aurions. Elle voulait m'éviter une vie qu'elle envisageait comme très difficile au sein d'un mariage mixte. Son opposition ne m'a pas empêchée de me marier, mais cela m'a profondément blessée et a ruiné nos relations pendant presque trente ans.
Y a-t-il eu des défis à relever de la part de votre entourage ?
Non, nos amis ici aux États-Unis ont toujours été très encourageants, et la maman de Jim m'a accueillie à bras ouverts.
En parlant d'enfants justement, vous avez un garçon et une fille, comment cela s'est-il passé pour eux ?
Jim et moi avons élevé nos deux enfants en leur apprenant à ne pas juger les gens d'après leur couleur, leur race ou leur nationalité. Nous avons toujours dit à nos enfants qu'ils ne sont rien de moins qu'eux-mêmes, c'est-à-dire, des enfants de Dieu.
Jonathan, l'aîné, m'a dit que c'est cool d'avoir une maman française ! Il a eu une période d'adaptation quand il s'est trouvé dans un milieu à prédominance noire américaine lors de son service militaire, parce que finalement les circonstances avaient fait qu'il n'avait pas eu beaucoup de contacts avec cette culture. Toutefois, il s'est rapidement adapté grâce aux idées spirituelles dont on lui avait parlé à la maison et à l'école du dimanche de la Christian Science*. Pour ce qui est de Natalia, quand elle était au lycée, elle a souhaité approfondir sa connaissance de la culture noire américaine et a ressenti le besoin de s'y identifier. Puis elle a découvert qu'un groupe racial, noir ou blanc, ce n'est pas ce qui nous donne notre vraie identité. Maintenant, elle est très bien dans sa peau et a des amis de différentes races et cultures.
Aujourd'hui, quelles sont les relations que vous entretenez avec votre mère ?
En janvier de cette année, je suis retournée en France pour rendre visite à une tante qui n'allait pas bien, et je me suis dit que c'était pour moi l'occasion de me réconcilier avec maman. Pendant tant d'années je m'étais sentie blessée par sa grande froideur à mon égard. Mais je me disais que cela avait besoin d'être changé, d'être guéri. J'ai beaucoup prié en préparant ce voyage. Je me suis dit que je n'allais pas réagir, quoi que maman fasse ou dise. Ce passage du Deutéronome m'a beaucoup aidée: « L'Éternel marchera luimême devant toi, il sera lui-même avec toi, il ne te délaissera point, il ne t'abandonnera point; ne crains point, ne t'effraie point. » (31:8)
Aussi, j'ai souvent pensé à ce que Mary Baker Eddy écrit à la page 454 de son livre Science et Santé: « L'Amour révèle le chemin, l'illumine, le désigne et nous y guide. Les bons motifs donnent des ailes à la pensée... » Je voulais que maman ressente non seulement mon amour mais aussi la présence constante de l'amour de Dieu.
On dirait que vous aviez un plan en vous rendant en France.
Oui, de voir que l'amour réel vient de Dieu et est toujours présent. Quand je suis arrivée chez maman, la situation ne semblait pas avoir changé. Pas de photos de moi ni de ma famille en vue (alors que celles de ma sœur étaient bien visibles). Toujours les mêmes remarques. Mais je n'ai rien dit. J'ai continué à prier et au bout de trois jours, quand je l'ai quittée, elle m'a invitée à revenir avec toute la famille. A mon retour aux États-Unis, j'ai reçu une carte d'elle (elle n'écrivait presque jamais) qui me disait avec des mots pleins d'amour combien elle avait apprécié ma visite. Elle signait par un « Je t'embrasse tendrement ». Cette carte m'a fait pleurer de joie. J'ai vu que tout est possible à Dieu et que Son amour apporte la paix et l'entente parmi Ses enfants.
