En Apparence, rien n'avait changé dans le petit café, ce matin-là. Le soleil brillait à travers les baies vitrées donnant sur la rue. Les étudiants de musique et des beaux-arts se groupaient autour des tables, comme d'habitude. Mais il y avait quelque chose de différent. L'atmosphère joyeuse et animée s'était évanouie. La musique classique avait été mise en sourdine. On parlait à voix basse. La tranquillité de l'endroit était inquiétante.
Enfin, quelqu'un me dit ce qui s'était passé. Quelques heures auparavant, il s'était produit tout près de là un accident de la circulation. Un des étudiants, un jeune homme tranquille qui était l'ami de tous, avait été tué.
Je ne connaissais pas le nom de ce jeune homme, mais, comme tout le monde dans le quartier, je lui avais souvent parlé, et le considérais aussi comme un ami. Je suis donc restée plus longtemps au café ce samedi matin, pour réfléchir... et pour prier.
I1 y avait beaucoup de questions dans l'air, même si elles n'étaient pas exprimées à haute voix, alors que les étudiants, les camarades de chambre et les connaissances du jeune homme se réconfortaient mutuellement, des questions du genre: « Comment quelque chose d'aussi soudain et d'aussi absurde, a-t-il pu se produire ? » ou « Est-il possible que quelqu'un de si aimable, si ouvert, si jeune et innocent ait mérité un tel destin ? »
D'innombrables écrivains et poètes au cours des siècles ont abordé ces questions. Et beaucoup d'entre eux ont trouvé une certaine sérénité dans ce qu'ils ont écrit sur le sujet, probablement parce que leurs paroles affirmaient qu'il y avait quelque chose d'immortel dans les personnes qu'ils avaient « perdues ». Quelque chose à quoi ils pourraient se raccrocher pour toujours. Quelque chose de spirituel et d'éternellement bon, bien au delà du physique, de la richesse, de la condition sociale ou du pouvoir temporel.
On trouve déjà cette idée dans des vers qui furent à l'origine gravés sur la tombe d'un esclave, dans la Grèce antique. L'auteur, qui était apparemment le maître de l'esclave, percevait en celui-ci quelque chose de la substance divine, alors qu'à l'époque un esclave était considéré, d'après des normes strictement mortelles et matérielles, comme un être insignifiant. À la fin du poème, il est dit que cet homme, bien que pauvre et infirme, était profondément aimé des dieux.Poems from the Greek Anthology, trad. Dudley Fitts [New York: New Directions, 1956], p. 122.
Et puis, il y a le poète anonyme qui a écrit le livre de Job dans la Bible. Il raconte l'histoire d'un homme dont les serviteurs et les enfants meurent tous soudainement. Voir Job 1:13–19. Le cœur brisé, Job proteste contre ces injustices: « L'homme né de la femme ! Sa vie est courte, sans cesse agitée », dit-il. « Il naît, il est coupé comme une fleur; il fuit et disparaît comme une ombre » Voir Job 14:1, 2..
Pourtant, bien qu'il se révolte contre ses tragédies personnelles, Job n'abandonne jamais Dieu. Quand sa femme lui dit: « Maudis Dieu, et meurs » Voir Job 2:9., il ne cède pas. Et finalement, il entend Dieu lui parler directement du milieu de la tempête. La vision de la puissance et de l'amour de Dieu impressionne Job au point de lui permettre de transcender sa peine. Il arrive à comprendre des choses merveilleuses au sujet de Dieu, qu'il n'avait jamais perçues auparavant. Tout cela se traduit, dans ses dernières années, par une prospérité extraordinaire. En outre, selon le récit biblique, dix autres enfants lui seront donnés.
En fin de compte, ce n'est pas quelque chose d'humain qui libère Job de son affliction. C'est sa fidélité inlassable envers Dieu lui-même, ainsi que sa puissante perception de la nature de Dieu qui lui donnent la santé, et le courage de prendre un nouveau départ (voir chap. 42).
La vie de Christ Jésus a montré clairement que comprendre Dieu et Son Christ est ce qui permet d'aller de l'avant, même lorsqu'on est confronté à la mort. À un moment donné, Jésus dit à ses disciples qu'il allait être crucifié. Mais, armé de courage spirituel, il put faire face au devoir qui l'attendait. Pourquoi ? Parce qu'il connaissait Dieu et parce que Dieu était sa Vie. La vie éternelle, a-t-il dit, « c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » Voir Jean 17:3.. Plus tard, sa connaissance intime de Dieu — sa compréhension de Dieu — le mit à même de sortir vivant de la tombe où il avait été enseveli pendant trois jours.
Connaître Dieu nous remplit nous aussi du pouvoir divin. Quand nous savons qui est Dieu, nous savons qui nous sommes, puisque nous sommes Ses enfants. Nous savons que nous sommes spirituels, éternels et indestructibles, et que nous reflétons Dieu. Nous savons que nous n'avons pas à nous soumettre à une force irrationnelle appelée la mort, parce que Dieu — la Vie infinie — exerce sur nous une souveraineté absolue.
Comprendre le pouvoir et l'amour de Dieu qui triomphent de tout, et y croire, constitue notre lien crucial avec l'éternité, comme l'explique Mary Baker Eddy dans son livre Unité du Bien: « Je crois plus en Lui [Dieu] que ne le font la plupart des chrétiens, car je n'ai foi en aucune autre chose ni aucun autre être. Il soutient mon individualité. Bien plus, Il est mon individualité et ma Vie. Parce qu'Il vit, je vis. Il guérit tous mes maux, détruit mes iniquités, enlève à la mort son aiguillon, et ravit à la tombe sa victoire » Unité du bien, p 48..
John Donne, le poète « métaphysique » anglais du début du XVIIe siècle, entrevit l'omnipotence de Dieu et l'impuissance de la mort. En 1601, il abandonna sa carrière de courtisan pour pouvoir épouser la femme qu'il aimait tendrement: Anne Moore. Ensuite, pendant des années, ils luttèrent ensemble contre la pauvreté et l'ostracisme de la société. La famille d'Anne le fit même mettre en prison pendant un certain temps. L'adversité toutefois ne fit que renforcer leur amour l'un pour l'autre, ainsi que pour Dieu. Donne finit par devenir prêtre anglican.
Puis vint une épreuve inattendue. Peu après la naissance de leur douzième enfant, Anne mourut. Pendant des mois, Donne resta mentalement et spirituellement paralysé. Finalement, il vit qu'il n'y avait rien d'autre à faire pour lui que d'aller de l'avant et de poursuivre sa carrière au service de Dieu. Un peu plus tard, il fut nommé doyen de la cathédrale Saint-Paul à Londres où, pendant la décennie qui suivit, il pronnonça quelques-uns des sermons les plus beaux de la langue anglaise.
Vers la fin de sa vie, Donne écrivit un sonnet qui traduit d'une manière poignante les leçons que lui avaient appris son veuvage et ses années de consécration à une meilleure connaissance de Dieu. Les premières lignes du sonnet nient catégoriquement la puissance de la mort. « Mort, ne sois pas fière, écrit Donne, bien que certains t'appellent puissante et terrible, car tu ne l'es pas. » Le poème énumère ensuite tout ce qui montre que la vie est plus puissante que la mort. Il se termine en mettant l'accent sur la vie éternelle... et en proférant une nouvelle menace: « Un bref sommeil, puis nous sommes éternellement éveillés / Et la mort ne sera plus — Mort, tu mourras. »
« Mort, tu mourras » ! Peu à peu, dans le café ce matin-là, je sentis le pouvoir de la mort mourir dans ma pensée. Et j'éprouvai une immense gratitude pour la Science du christianisme, cette Science qui marque si bien la distinction entre l'illusion de la mort et la réalité de la Vie. Entre les choses mortelles et les immortelles. Entre ce qui est ici aujourd'hui pour ne plus être là demain, et ce qui est éternel.
