Le ministère des apôtres à Derbe semble avoir été exempt de persécutions. Il dut représenter un changement bienvenu après les nombreux dangers et les nombreuses épreuves qui avaient été récemment les leurs. Tout ce que nous en savons tient dans la mention encourageante qu'ils avaient « évangélisé cette ville et fait un certain nombre de disciples » (voir Actes 14:21). Derbe marque littéralement l'étape culminante du premier voyage missionnaire; de là ils commencèrent à revenir sur leurs pas.
Le chemin le plus court pour retourner à Antioche en Syrie, qu'ils avaient quitté quelque deux ans auparavant, aurait été de passer par les Portes de Cilicie, un col qui franchit les montagnes du Taurus. D'aucuns estiment que c'est probablement tard dans l'année, ou durant l'hiver, quand le col est coupé par la neige, que Paul et Barnabas achevèrent leur travail à Derbe. Mais les apôtres avaient certainement d'autres raisons valables pour retourner par le même chemin. En passant par Lystre, Icone et Antioche de Pisidie, retournant dans ces villes même d'où ils s'étaient échappés au péril de leur vie, ils encourageraient les petites communautés chrétiennes qu'ils avaient établies aux avant-postes de la foi, de même qu'ils seraient encouragés par elles. On nous dit qu'en chemin ils fortifièrent «l'esprit des disciples », et désignèrent et établirent des anciens qui devaient veiller sur les divers groupes. A propos de cette première partie du voyage de retour, rien n'indique que les apôtres aient prêché en public (voir v. 22, 23).
La situation fut différente lorsqu'ils atteignirent finalement Perge. Ils n'y avaient pas enseigné, la première fois qu'ils avaient traversé la ville. Cette fois, ils y prêchèrent, et également dans le port maritime voisin d'Attalie. De là ils s'embarquèrent pour Antioche, en Syrie, d'où, selon les termes mêmes de l'auteur des Actes des Apôtres, « ils avaient été recommandés à la grâce de Dieu pour l'œuvre qu'ils venaient d'accomplir » (voir v. 24–26).
Ainsi se termina le premier des voyages missionnaires de Paul, au cours duquel lui et Barnabas avaient surmonté de grands obstacles et avaient gagné de nombreux néophytes à la foi chrétienne. Nous pouvons imaginer la joie avec laquelle les disciples d'Antioche écoutèrent la description que leur firent les apôtres de tous ces événements. Les Actes des Apôtres résument avec bonheur les résultats de leur entreprise, en déclarant que Dieu « avait ouvert aux nations la porte de la foi » (v. 27).
Les apôtres avaient accompli un travail important; de nets progrès avaient été accomplis, mais la lutte ne faisait que commencer. Une porte avait en effet été ouverte pour laisser entrer les païens, mais des vents violents étaient prêts à la fermer sur des débuts chèrement gagnés. Peu de temps après le retour des apôtres à Antioche, des hommes arrivèrent de la Judée, qui « enseignaient les frères, en disant: Si vous n'êtes circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés » (15:1). C'était réintroduire l'argument dont, trois ou quatre ans auparavant, au moment de son entrevue avec les « colonnes » de l'église de Jérusalem, Paul semblait avoir triomphé (si cette entrevue, rapportée dans Galates 2:1–10 coïncide avec la visite que Paul fit à Jérusalem pour y apporter des secours aux victimes de la famine, et qui est mentionnée dans Actes 11:29, 30; 12:25).
Sans aucun doute les semences de la dissension subsistaient. Il se peut que leur développement ait été favorisé par les nouvelles qui atteignirent Jérusalem au sujet des rencontres de Paul avec les adversaires juifs d'Asie Mineure. S'ils avaient admis alors la nécessité de la circoncision pour tous les chrétiens, cela aurait en fait signifié, pour Paul et Barnabas, la négation du bon travail que les deux missionnaires avaient accompli parmi les païens. Et ce n'étaient pas seulement Paul et Barnabas et leurs néophytes païens des pays lointains qui étaient touchés par cette insistance concernant la circoncision. Nombre de chrétiens de l'Antioche syrienne étaient païens, et leur position dans l'Église était également menacée. En somme, la situation était grave.
A un moment donné aussi, peut-être durant cette période même, une visite que l'apôtre Pierre fit à l'église d'Antioche souleva une autre question, savoir si les juifs et les païens mangeraient à la même table, lors du repas chrétien commun. Paul nous dit dans l'Épître aux Galates que Pierre, omettant les règles strictes de la purification qui liaient un juif, tout d'abord « mangeait avec les païens ». Mais lorsque certains des juifs conservateurs arrivèrent, il renonça à cette façon de faire, « par crainte des circoncis ». Paul réprouvait un tel comportement, chez Pierre comme chez quiconque. C'est à cette occasion qu'il fit cette déclaration célèbre concernant Pierre: « Je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible. » Le fait que, durant un certain temps, au moins, les arguments utilisés par le parti judaïsant gagnèrent même Barnabas, le fidèle compagnon de Paul, atteste la vigueur de ces arguments. (Voir Gal. 2:11–13.)
Quel que soit le moment de cet incident — les Actes ne parlent pas de la visite en question — il montre combien, pour Paul et ses églises, pouvaient être cruciaux les problèmes concernant la loi juive, en particulier pour une église comme Antioche, avec ses nombreux membres païens. Et lorsque après le premier voyage missionnaire de Paul, la question de savoir s'il y avait lieu d'exiger la circoncision des païens fut présentée comme urgente, à Antioche, elle précipita l'envoi par l'église d'Antioche d'une mission officielle aux apôtres et aux anciens de Jérusalem.
Les principaux délégués venus d'Antioche à cette importante conférence étaient naturellement Paul et Barnabas. Ils voyagèrent par voie de terre, passant par la Phénicie et la Samarie, et répandant la bonne nouvelle de la conversion des païens. Lorsque les apôtres atteignirent Jérusalem et firent à l'église de cette ville le récit de leur mission, certains chrétiens juifs d'origine pharisienne défendirent le point de vue du parti de la circoncision, soutenant que ce rite devait être observé par les païens nouvellement convertis, parce que c'était un des commandements de la loi de Moïse (voir Lév. 12:3). Les apôtres et les anciens tinrent conférence pour examiner la question. (Voir Actes 15:2–6.)
Après une longue discussion, Pierre se leva et parla, prenant cette fois fermement parti en faveur du droit des païens à la liberté. Luimême, rappela-t-il à ses auditeurs, avait été amené à convertir les païens, lesquels avaient reçu le Saint-Esprit. Leur cœur était purifié par la foi. Dieu n'avait « fait aucune différence entre nous et eux », puisque juif et païen étaient sauvés pareillement par la grâce de Dieu. Eu égard à ces faits, il leur demanda: « Pourquoi tentez-vous Dieu, en mettant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu porter ? » A cela il n'y avait et ne pouvait y avoir aucune réponse, en vérité. L'assemblée écouta dans un silence attentif, pendant que Paul et Barnabas parlaient du succès de l'œuvre qu'ils avaient accomplie parmi les païens. (Voir v. 7–12.)
Finalement Jacques, qui faisait fonction de président ou juge, se leva. Il cita un passage du Livre d'Amos (9:11, 12), pour montrer que l'œuvre accomplie par Paul parmi les païens s'accordait avec la prophétie. Là-dessus, il leur fit connaître sa décision (Actes 15:19, 20): « Je suis d'avis qu'on ne crée pas des difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu, mais qu'on leur écrive de s'abstenir des souillures des idoles, de l'impudicité, des animaux étouffés et du sang. » Les païens devaient observer quelques règles élémentaires — religieuses, morales, alimentaires — mais devaient être libérés de l'obligation pesante de se conformer à la loi judaïque. Ainsi se trouvait confirmée la mission chrétienne de Paul auprès des païens.