Au nombre d’un choix de vertus chrétiennes dont saint Paul dresse la liste figure la patience. Voir Rom. 5:3, 4 (Bible anglaise) ; Personne, ou presque, ne s’en étonnera; mais certains y verront peut-être une qualité négative, à peine au-dessus de l’endurance des stoïques. C’est là une impression qui peut être due au sens premier du mot, qui impliquait la résignation à la souffrance. En réalité la patience est une vertu positive, active, conduisant souvent directement à l’action.
Ainsi dans la parabole de l’enfant prodigue narrée par Jésus, il a dû falloir au père pratiquer une patience active et pleine de vigueur. Son plus jeune fils, tendrement aimé, l’avait quitté; la nouvelle avait pu parvenir jusqu’à lui de la vie de dissipation menée par ce fils, puis de la misère dans laquelle il était tombé, de la faim qu’il endurait; mais l’amour et la confiance du père restèrent intacts. Aussi quand le fils rentra finalement à la maison, en dépit des changements dans son apparence, son père le reconnut de loin et courut au-devant de lui pour l’accueillir d’une manière qui effaçait leur séparation comme si elle n’avait jamais eu lieu. Rien de négatif ou de passif dans tout cela!
En 1955, alors que son existence terrestre allait bientôt prendre fin, Einstein écrivit une lettre de réconfort à une famille éprouvée par un deuil récent. Il écrivait entre autres: « Pour nous autres physiciens qui sommes croyants, la séparation entre le passé, le présent et l’avenir n’a pas plus de portée qu’une illusion, bien que celle-ci soit tenace. » Lettre à la famille de Michelangelo Besso, citée dans The New York Times, 29 mars 1972; La Science Chrétienne, allant plus loin que la physique, reconnaît qu’il est dès à présent possible de commencer peu à peu à détruire cette illusion tenace. Plus que partout ailleurs la patience est nécessaire pour nous libérer de cette illusion et des diverses limitations qu’elle tenterait de nous imposer.
Le temps, comme mesure de la durée, n’apporte pas de réponse aux problèmes de la mort. Les compilateurs d’une récente anthologie sur l’élément « temps » dans la condition humaine l’ont d’une certaine manière reconnu, car ils ont dit ceci: « Il y a une différence entre MAINTENANT comme temps au sens concret, et MAINTENANT envisagé dans une continuité sans fin ni concrétisation. » The Future of Time: Man’s Temporal Environment, ed. Henri Yaker, Humphry Osmond et Frances Cheek (New York: Doubleday, 1971), p. 511; Mais l’idée de temps n’est pas la solution, même s’il s’agissait de « MAINTENANT comme temps au sens concret ». C’est seulement dans l’idée d’éternité, dans une perception spirituellement scientifique de la Vie hors du temps, qu’on peut faire l’expérience réellement concrète et pleinement satisfaisante de ce qu’est MAINTENANT. Jamais il n’y a là de séparation d’avec le bien.
L’illusion de vivre dans le temps risquerait d’exercer une influence paralysante ou dégradante sur toute activité à laquelle on la laisserait s’associer. Elle nous amènerait à croire que le domaine de l’homme est constitué d’une continuité espace-temps et que notre existence entière se trouve confinée au sein de cette continuité. Il nous serait ainsi permis de péniblement acquérir dans le cadre de notre prison quelques réconforts et privilèges, mais aucun moyen d’en sortir.
Il faut atteindre quelque chose qui échappe totalement à la notion espace-temps pour s’échapper de cette geôle: il faut la spiritualisation de la pensée. Peu à peu nous devons abandonner la croyance à des limitations liées aux mensurations de la matière en poids, masse, dimensions. Nous devons plus spécifiquement arriver à rejeter cette prétention ainsi résumée par un éminent penseur qui a beaucoup réfléchi au problème du temps: « Le temps doit et devrait être au centre des intérêts de l’homme, aussi bien sur le plan intellectuel qu’émotif. » The Voices of Time, ed. J. T. Fraser (New York: Braziller, 1966), p. xviii; Pareille prétention est peut-être une excellente façon de décrire la conception que la mortalité se fait d’elle-même, mais elle est dépourvue de valeur quand il s’agit de l’homme spirituel, créé et gouverné par l’Esprit intemporel, Principe de tout bien. La patience est un facteur susceptible de nous aider puissamment à rejeter le concept espace-temps.
Saint Paul nous recommande de « courir avec patience la course qui s’ouvre devant nous». Hébr. 12:1 (Bible anglaise) ; Courir avec patience! Quelquefois la patience doit se cultiver pendant des mois, voire des années. Mais elle peut tout aussi bien accomplir son œuvre dans l’intervalle de ce que Kipling a appelé « l’impitoyable minute » — ou même l’impitoyable seconde. A son summum la patience est instantanée, simultanée.
Une autre conception de la patience ressort de cette strophe d’un cantique:
Voici d’où ils tiraient le secret de leur force,
Ceux qui ont foulé la voie du martyre:
Parce qu’ils pensaient à Dieu, comme les sources
Leur patience était inépuisable.Hymnaire de la Science Chrétienne, n° 260;
Ici la patience n’est en rien faiblesse ou stagnation; elle puise dans des réserves de force spirituelle, à des sources jaillissantes constamment alimentées par la perception de Dieu.
Dans Science et Santé Mrs. Eddy signale encore d’autres aspects de la patience: « La patience est symbolisée par le ver inlassable qui, en rampant, gravit les plus hauts sommets, persévérant dans son intention. » Science et Santé, p. 515; La persévérance et une progression continue, même si elle est bien peu rapide, peuvent constituer des éléments significatifs de la patience. Mais remarquez bien la route suivie: elle « gravit les plus hauts sommets ».
Cette route nous indique l’essence de la patience, qualité puissamment efficace du chrétien. Du point de vue d’élévation spirituelle auquel elle atteint, la patience découvre la réalité éternelle par-delà les brumes illusoires du temps. A propos de cette réalité, Mrs. Eddy écrit: « L’homme est immortel, spirituel. Il est supérieur au péché ou à la fragilité. Il ne franchit pas les bornes du temps pour entrer dans la vaste éternité de la Vie, mais il coexiste avec Dieu et l’univers. » ibid., p. 266; La patience est une qualité qui spiritualise la pensée. Elle nous soulève au-dessus des illusions de la mortalité et de la fragilité, qui ont partie liée avec le chagrin, la maladie, tout ce qui est insensé, au point que notre regard peut parcourir les territoires illimités de l’être spirituel, harmonieux et indestructible.
Christ Jésus a décelé parfaitement la nature illusoire du temps, du passé, du présent et du futur. Il parla de son individualité divine comme étant antérieure à Abraham; il promit à ses disciples qu’il serait avec eux jusqu’à la fin du monde.
Comme il comprenait son identité éternelle, Jésus pouvait attendre avec patience avant de partir pour Béthanie ressusciter son ami Lazare d’entre les morts, ou avant de monter à Jérusalem pour rencontrer ses persécuteurs. Il pouvait avec la même patience, du haut des sommets de la vision spirituelle, voir à travers et par-delà l’apparence physique inharmonieuse et ainsi guérir instantanément, sans intervention de temps, des maladies ou des difformités anciennes. Il savait soit attendre le moment convenable, soit passer sur-le-champ à l’action, parce que jamais il ne comptait sur le temps, sachant bien que c’est une illusion. Il comptait avec patience sur la volonté et sur le bon vouloir de Dieu.
Il n’est donc pas étonnant que Mrs. Eddy ait conseillé à ceux qui voudraient travailler à la guérison chrétienne d’imiter la patience de Jésus. La spiritualisation de la pensée est indispensable pour cette œuvre de guérison, et la patience contribue puissamment à cette spiritualisation. Elle prépare la conscience humaine, avec ses doutes, ses craintes, ses limitations, à céder à l’intelligence divine qui ne connaît ni doute, ni crainte, ni limitations, et qui seule guérit.
Mrs. Eddy écrit à propos de la Science Chrétienne: « C’est la droite de Dieu étreignant l’univers — temps, espace, immortalité, pensée, étendue, cause et effet dans leur totalité; elle constitue et gouverne toute identité, individualité, loi et puissance. » Miscellaneous Writings, p. 364; Nous voyons individualisé dans notre existence le pouvoir divin de cette « droite de Dieu étreignant l’univers » dans la mesure où nous conformons notre vie à la vision spirituelle élevée de Dieu et de l’homme, telle que la Science Chrétienne la révèle. Alors l’illusion du temps est dénoncée pour ce qu’elle est, quelle qu’en puisse être l’obstination. Patiemment nous pouvons la dominer et la dépouiller peu à peu de toute influence dans tout ce qui nous concerne.
La patience compte au premier plan des qualités qui nous permettent de vivre de façon plus suivie en conformité avec la vision découverte des sommets. Mais nous en tirerons le meilleur parti si nous ne la séparons pas de ces autres qualités spirituelles que sont l’amour, la joie, et la paix, tout comme l’a fait Paul. C’est alors que nous laisserons vraiment « la patience [accomplir] parfaitement son œuvre ». Jacques 1:4. Cela nous permettra de nous affranchir des limitations de l’espacetemps qui nous retiennent prisonniers, et de vivre de plus en plus dans notre vraie demeure de santé et d’harmonie, la conscience de l’Esprit, affranchie de toute limitation.