Nul ne peut cesser de penser. Du reste ce n'est pas nécessaire! Il faut plutôt qu'on oriente la pensée d'une manière intelligente et qu'on s'abstienne de la diffuser à tout propos. Sans doute « les paroles dites à propos ressemblent à des pommes d'or dans des vases d'argent ciselé; » mais il est également certain que « celui qui garde sa bouche et sa langue garde son âme de la détresse. »
En général, l'homme bien avisé ne parle guère de ses desseins ou de ses ambitions. Comptant sur l'intelligence divine et sur les leçons de l'expérience, il forme ses plans, les met à exécution, et parvient au but avant que personne ait eu l'occasion d'obscurcir ses conseils par des discours sans discernement. Peut-être s'agit-il seulement d'une villégiature ou d'un bref voyage. Dans tous les cas, il peut être sûr que des personnes bien intentionnées tiendront à lui dire comment elles estiment qu'il doit s'y prendre. En outre, dès qu'un projet est annoncé, le mal impersonnel, vulgairement appelé le diable, semble s'ingénier à y mettre obstacle.
Le public demande à grands cris que le gouvernement ou l'armée lui confient leurs secrets; mais à la réflexion il voit que ce serait peu raisonnable. Aujourd'hui, l'on se rend compte des risques que présenterait cette méthode. Le généralissime et son état-major, le premier ministre et son cabinet, cherchent l'aide de Dieu pour adopter ce qui leur paraît être la meilleure stratégie, la politique la plus sage; ils espèrent que leurs efforts aboutiront non pas à un échec, mais au succès. Quand vient la crise, le peuple ne peut guère faire autre chose que de soutenir les mains des chefs. Jetées dans l'arène des discussions publiques, les propositions les plus raisonnables semblent se défraîchir et perdre en partie leur force. Il va sans dire qu'aucune nation n'annonce à l'avance son stratagème. Et les personnes judicieuses s'abstiennent le plus souvent de faire connaître leurs aspirations ou leurs intentions, pour que leur entreprise ne devienne pas le jouet de la fortune. Avec sa maîtrise habituelle, Goethe a bien résumé la situation:
Connectez-vous pour accéder à cette page
Pour avoir le plein accès aux contenus du Héraut, activez le compte personnel qui est associé à tout abonnement au Héraut papier ou abonnez-vous à JSH-Online dès aujourd’hui !