Je suis protestante réformée et je suis pasteur depuis huit ans. Je suis chargée de l'animation du « centre huit », un centre de la paroisse protestante réformée de Versailles, qui a eu pour but dès le départ l'ouverture, la réflexion, la rencontre: la dimension œcuménique.
Les centres de ce genre sont des lieux-seuils entre l'église et le monde. Ils ont été créés parce que des gens actifs dans les paroisses trouvaient que les églies avaient tendance à être un petit peu trop enfermées sur ellesmêmes. Je participe régulièrement à des réunions æcuméniques, à des rencontres interreligieuses comme la der nière qui portait sur la place des femmes dans la Bible.
J'ai commencé par faire des études de lettres, mais d'une part je n'étais pas sûre de vouloir être enseignante et d'autre part, si j'aimais beaucoup la littérature, les livres, j'avais envie de creuser plus profond en me disant: « Mais quel est le sens de tout cela ? » J'ai alors fait des études de théologie, et c'est pendant ces études que je me suis rendu compte que j'avais non seulement envie d'étudier, mais envie de dire, de partager, de témoigner. J'avais été élevée dans le catholicisme et mon entrée dans le protestantisme est venue du fait de ma recherche. J'ai beaucoup aimé la lecture qu'on y faisait de la Bible. J'ai mis du temps à décider de devenir pasteur. Mais j'avais ce désir: « Je peux être pasteur, je vais pouvoir transmettre. »
J'ai rencontré peu de résistance par rapport au fait que je suis une femme. Dans l'Église réformée, on est 25% de femmes pasteurs, les premières étant apparues au début des années soixante, et cela augmente sans cesse. J'ai bien rencontré des résistances, mais très superficielles, qui ne résistent pas finalement à l'expérience. C'est-à-dire, quand une paroisse n'en a jamais fait l'expérience, l'arrivée d'une femme pasteur suscite quelques réserves, quelques craintes, mais à l'usage, les paroissiens se rendent compte qu'une femme fait le même travail qu'un homme, qu'elle remplit son ministère, donc en général cela se passe très bien.
Je crois cependant qu'il y a encore un gros travail de réflexion à faire sur le ministère et la vie de famille. Et d'une certaine manière, nos collègues masculins en bénéficient aussi. Traditionnellement, les pasteurs étaient plutôt des hommes et leur épouse souvent ne travaillait pas en dehors de la famille et de la paroisse. On dit en souriant qu'il y avait comme un second pasteur dans la paroisse, la femme du pasteur, qui jouait un rôle énorme, surtout dans l'accueil. Maintenant, le conjoint, homme ou femme, travaille presque toujours à l'extérieur. Ce qui fait qu'il faut trouver l'équilibre familial autrement. Un autre point qui a beaucoup changé, c'est que le conjoint n'est pas forcément impliqué dans la paroisse. Il y a beaucoup de pasteurs dont l'épouse ou l'époux n'est pas forcément croyant ou de la même religion. C'est assez fréquent. Cela peut paraître plus difficile si on considère l'environnement mental dans lequel on travaille, mais en même temps cela fait que le pasteur est aussi très en phase avec la société telle qu'elle est aujourd'hui. On arrive beaucoup mieux à comprendre les données sociologiques des gens qu'on a en face de soi. On est dans une société très plurielle. Donc si on est dans ce cas-là on arrive beaucoup plus à sentir les besoins et cela aide pour la prédication et l'enseignement.
La foi est le ressort de ce travail. Tout ce qui est travail avec des êtres humains et dans la relation est quelque chose de difficile. Il y a beaucoup de défis: on est souvent dans la complexité humaine, avec tous les malentendus, toutes les joies et toutes les difficultés. Donc s'il n'y avait pas ce ressourcement en profondeur, moi je ne tiendrais pas longtemps la route ! La Bible et la prière sont une aide constante. J'ai toujours l'impression quand je lis la Bible de la découvrir, c'est comme si j'étais un peu « amnésique » avec la Bible. Un jour, je l'ouvre, et je tombe sur un passage quelque part dans Ésaïe, et je suis émerveillée de sa beauté. Quelle force !
Il y a deux versets que j'aime beaucoup en particulier, c'est à la fin du livre de Job, quand il dit: J'avais « entendu parler de toi; mais maintenant mon œil t'a vu » (42:5). Pour moi c'est quelque chose de fort. Et l'autre passage, c'est dans la Première épître de Jean: « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaiît toutes choses. » (3:20) Et ça, c'est pour moi un éblouissement à chaque fois, parce que je crois que chaque être humain, peut-être est-ce particulier à notre civilisation, a toujours tendance à se condamner soi-même, à être enfermé dans des fausses culpabilités. Alors je ressens ce passage comme Dieu desserrant un étau. J'ai entendu une dame psycho-sociologue faire une lecture que j'ai trouvée très bien du passage de Genèse 3 où Dieu parle à Ève et Adam et les cherche. Il dit « Où êtes-vous ? » Et ils sont cachés, honteux. Cette dame disait: « Remarquez comme Dieu leur parle doucement. Il ne les injurie pas. Il faudrait que nousmêmes nous apprenions à nous parler à nous-mêmes doucement. »
Quand je parle avec des femmes qui souffrent de préjugés à leur égard, j'essaye de leur apporter cette idée: Votre parole est intéressante. Je ne dis pas cela en mon nom propre, mais pour Dieu. Souvent on se rend compte que beaucoup de femmes pensent qu'elles n'ont rien à dire. C'est ce que j'essaye aussi de dire aux jeunes pendant le cathéchisme: Ce que vous dites là m'intéresse, grâce à ce que vous dites, ma pensée s'enrichit. Quand je dis « la pensée », on n'est pas au stade de l'opinion, mais à un niveau beaucoup plus profond. Toute question est intéressante sur la Bible. Il faut s'étonner et poser des questions
Je remarque depuis quelques années une curiosité, un intérêt nouveau pour la Bible, une quête spirituelle peut-être, mais on se rend compte que le côté institutionnel n'est plus du tout adapté à ces demandes. Et en même temps, je pense que l'institution est nécessaire, parce que des cadres sont nécessaires, à condition qu'ils ne soient pas écrasants. Je note aussi un refus de se cantonner dans une direction spirituelle, la gourmandise d'avoir un peu de tout, mais je me demande si on peut vraiment approfondir dans ce cas, parce que pour approfondir, il faut s'engager, aller dans une voie.
J'ai tellement eu moi-même l'impression de découvrir quelque chose d'énorme en découvrant la grâce de Dieu dans la religion protestante que j'ai eu envie de le partager, de le proclamer. Quand j'étais petite fille, j'ai eu envie à un moment d'être avocate. J'aime le verbe. Quand je pense à mon parcours, je suis encore étonnée d'être devenue pasteur, et j'ai envie de donner à d'autres femmes ces mêmes occasions. Même si elles ne deviennent pas pasteur, elles doivent savoir qu'elles ont une parole et que cette parole sera riche pour d'autres. Dans la Bible, Dieu dit: « Je t'ai appelé par ton nom. » (Ésaïe 45:4) C'est ce que je trouve d'immensément pertinent dans le christianisme, je dirais dans le judéo-christianisme: la personne qui est en relation personnelle avec Dieu. Personne n'est dérisoire, ni homme ni femme. Chacun est devant Dieu. Je ne sais pas si on en a pris encore toute la mesure.
