Il a été versé, probablement, plus de casuistique sur la question de la rémission que sur tout autre sujet d'une nature similaire. La raison en est que l'esprit humain, précisément parce qu'humain, forme les conceptions les plus extravagantes et les moins scientifiques du sens de la rémission. Ce n'est pas forcément remettre le péché que de le laisser sans châtiment. Annoncer avec onction qu'on a passé sur une faute tandis que sa mémoire est soigneusement entretenue, tandis que ses détails sont répandus avec autant de zèle que de subreption, c'est en soi-même un péché de la plus vulgaire sorte. Il va sans dire que la véritable rémission fait table rase du péché; l'interpréter autrement serait travestir l'un des plus beaux termes de la langue anglaise. Quand Pope émit cette pensée, banale, hélas, à force d'avoir été répétée, que la rémission est chose divine, il exprima un fait métaphysique d'une grande profondeur, sans probablement se douter lui-même de tout ce qu'il contenait. La rémission est divine, car si le Principe ne remet pas il n'y a pas de rémission. Et pourtant, si paradoxal que cela paraisse à l'entendement humain, le Principe infini ne peut rien savoir du mal, à moins que — chose absurde — ce dernier soit considéré lui-même comme le Principe.
Telle était la question qui confrontait Spinoza, et c'est précisément dans ce sens qu'il l'a résolue. Mais Mrs. Eddy, trop logique pour tomber dans un pareil piège, et qui avait prouvé par le critère de Jésus, c'est-à-dire par la guérison métaphysique de la maladie, sa juste compréhension de ses doctrines, répudia foncièrement la conception orthodoxe du péché et de sa rémission. L'auteur de Science et Santé s'efforça de montrer que le péché, étant un mensonge par rapport à l'activité divine, ne pouvait être remis que si le mensonge était vraiment regardé comme tel, et par conséquent réduit à néant. Si le mal était réel, pour ainsi dire, il serait indestructible et par là éternel. Le fait de l'existence d'un Principe infini, Dieu, est la seule puissance qui peut remettre le péché. Ainsi le seul moyen d'obtenir le pardon est de cesser de faire le mal. Dans la mesure où l'homme y prend garde, il s'affranchit de la suggestion de l'entendement mortel et cesse ainsi de s'identifier avec le pécheur, soit avec l'entendement mortel lui-même. C'est ainsi que l'homme réel ou le Christ se distingue à travers les brouillards des sens qui sont en train de s'évaporer dans leur néant.
Il ne faut pas se figurer un seul instant, d'autre part, que le fait de dévoiler le néant du mal est un encouragement à le commettre. Le péché crée toujours, éventuellement, un enfer proportionné à sa tolérance. Le péché maîtrisé et détruit, c'est-à-dire remis, ouvre les portes du ciel. “Affirmer,” dit Mrs. Eddy à la page 447 de Science et Santé, “que les prétentions du mal n'existent pas, et cependant s'y livrer, constitue une offense morale.” C'est, en quelque sorte, insister sur l'irréalité de la maladie tout en maintenant que vous êtes malade. Il va sans dire qu'il y a une différence radicale dans la façon de traiter le péché et la maladie, et Mrs. Eddy s'explique là-dessus en termes d'une extrême clarté, à la page 461 de Science et Santé: “Si vous vous croyez malade, devriez-vous dire: ‘Je suis malade’? Non, mais quelquefois il faut faire connaître votre croyance, si cela est nécessaire pour la protection des autres. Si vous commettez un crime, devriez-vous avouer à vous-même que vous êtes un criminel? Oui! Vos réponses devraient différer, étant donné les effets différents qu'elles produisent. En général, le fait d'admettre que vous êtes malade rend votre cas plus difficile à guérir, tandis que le fait d'avouer votre péché aide à le détruire.”
Ayant ainsi montré sans détours que l'irréalité du péché n'entraîne pas une tentation de le commettre, puisque l'homme qui s'y abandonne crée un état de discorde aussi réel ou irréel qu'un état de maladie, Mrs. Eddy, à la page 327 de Science et Santé, en deux lignes brèves mais concluantes, réduit en miettes l'argumentation qui prétend offrir plusieurs issues au péché: “Le moyen d'échapper à la souffrance qu'entraîne le péché est de cesser de pécher. Il n'y a pas d'autre moyen.” Comme nous l'avons vu c'est le seul moyen d'atteindre au pardon. Somme toute, ce qui constitue la miséricorde divine c'est le fait que le péché est irréel, et que Dieu, le bien, est la seule réalité. Si Dieu, le bien omnipotent, avait créé le péché— raisonnement absurde — ou l'avait permis, sachant dans son omniscience infinie que Son image s'y complairait, pour pardonner ensuite à l'homme d'avoir fait ce que Lui, Dieu, savait qu'en l'occurrence il devait faire, la divinité serait ravalée à un niveau moral inférieur à celui de l'humanité, et la rémission ne serait que l'absolution des conséquences d'un acte dont l'homme n'aurait pu se rendre coupable sans la connivence divine. Une pareille conception du pardon est un travestissement puéril du Principe. Pourtant, si extraordinaire que cela paraisse, c'est encore l'idée courante dans le monde aujourd'hui.
Quand la Bible dit que Dieu a “les yeux trop purs pour voir le mal,” et ne peut pas “regarder l'iniquité” ce n'est là, sûrement, qu'une autre façon de dire que le Principe, par la force des choses, n'a pas la conscience du mal. Toute autre explication fait de ce dernier un élément constituant du Principe. Ainsi le pardon divin, c'est l'infinité du bien réduisant le mal à une négation, et faisant de la rémission un acte permanent, non l'effet capricieux de la pensée humaine. Pour l'entendement de l'homme la rémission est, positivement, une impossibilité scientifique, parce que la pensée humaine est en elle-même l'expression du mal; pour notre sagesse, le pardon est toujours incomplet s'il ne se confond avec l'oubli. La rémission, en définitive, puise sa véritable signification dans le fait que Dieu, le Principe, n'a jamais rien créé qu'il faille pardonner. C'est bien ici, au sens humain irrédîmé, le mystère de l'Amour divin. “Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique [le Christ, la Vérité], afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.” N'est-ce pas là ce à quoi Jésus faisait allusion par ces paroles que rapporte Jean: “Si vous demeurez dans ma parole, ... vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira”? N'est-ce pas là la méthode divine du pardon?