Le juge commença la lecture des neuf chefs d’accusation retenus contre l’inculpé. Les personnes convoquées pour faire éventuellement partie du jury écoutaient en silence. J’étais du nombre.
Tout d’abord, je ne compris pas grand-chose aux termes juridiques ni aux tenants et aboutissants de l’exposé du juge. Mais ensuite, les choses s’éclaircirent. J’eus un mouvement d’incrédulité et de répulsion: les griefs mentionnés avaient trait à des brutalités infligées censément à trois petites filles par un adulte qui aurait abusé d’elles.
Tout en écoutant, je pris soudain conscience qu’il était fort possible que je sois retenu comme juré et que je me trouve alors dans l’obligation, de par le serment que je prêterais et de par la loi, de me prononcer correctement — en vertu des preuves avancées — sur la culpabilité ou l’innocence de l’inculpé.
Scientiste Chrétien depuis des années, j’avais fait choix de ne voir et de ne reconnaître que la perfection et l’innocence perpétuelles de l’homme, à l’image et à la ressemblance de Dieu. J’étais habitué à rejeter des arguments tels que ceux-ci: l’homme est un mortel, il se rend souvent coupable de méfaits, il est tout autant susceptible de se livrer au péché que d’en être victime. Dans ma pensée, il était devenu fondamental de tout mettre en œuvre pour prouver, comme Christ Jésus a enseigné à ses disciples à prouver par des œuvres de guérison et de rédemption, que l’homme est, dans son état véritable, spirituellement innocent.
Comment faire pour réconcilier ma loyauté envers la vérité spirituelle — envers la vision de l’homme innocent, comme il l’est effectivement — et le devoir qui m’incombait, en tant que citoyen respectueux des lois, de déclarer quelqu’un coupable, le cas échéant, des crimes dont il était accusé ? Une distinction s’impose de toute évidence entre l’homme sans péché créé par Dieu — l’homme réel — et des mortels pécheurs, hantés par toutes leurs fautes et gouvernés, au témoignage des sens, par un entendement mortel susceptible de se montrer pervers et criminel.
La vraie vie est entièrement spirituelle, ainsi que le révèle la Science Chrétienne. Dans le royaume du pur Entendement, les idées de Dieu ont une existence exempte de péché et de souillure morale. L’homme créé par Dieu ne peut pas plus pécher qu’on ne peut pécher contre lui. Non seulement la Vérité et l’Amour nous réconfortent et nous consolent, mais le Principe omnipotent et omniprésent nous protège et nous guérit.
Entendement mortel est un terme employé par Mary Baker Eddy pour désigner un mode de pensée faux qui accepte comme des faits à la fois le bien et le mal et qui fait une réalité du péché; c’est une pensée qui parvient à ses jugements erronés par l’entremise des sens physiques. Ce pseudo-entendement n’est est pas un en réalité, et l’homme fait de chair n’est pas non plus l’homme réel. Si elle n’était pas corrigée, cette conscience mortelle envahirait toute la pensée humaine et semblerait produire continuellement le mal.
L’audience du tribunal suivait toujours son cours. Je sus qu’il me fallait promptement clarifier ma pensée de façon à sauvegarder ma position de toute compromission, que ce soit en ma qualité de citoyen apte à faire un bon juré, ou comme Scientiste Chrétien pratiquant. J’ouvris ma pensée au Christ de Dieu toujours présent, la Vérité, celui qui nous illumine par la conscience spirituelle. A ce moment, ces paroles de Mary Baker Eddy relatives au mal me revinrent en mémoire: « Mais pourquoi serions-nous pétrifiés devant ce qui n’est que néant ? » Science et Santé, p. 563.
Pour moi, cela signifiait: n’accueille pas dans ta pensée, comme incapable de changer et immuable, la vision mortelle du mal, telle qu’elle est en ce moment décrite devant le tribunal. Cela voulait dire également que je n’avais pas à réagir à cette image de façon négative et émotive. Je me rendis compte aussi que je pouvais traiter la situation de façon impersonnelle et impartiale, sans passion; je pouvais traiter avec justice quiconque se trouvait inclus dans le champ de ma pensée. Ce qu’il fallait, c’était écouter constamment la voix du Christ, la Vérité, et ne pas laisser les voix et les arguments de l’extérieur obscurcir ou influencer mon raisonnement et mon jugement, ni porter atteinte à ma capacité de conclure à l’innocence ou à la culpabilité de l’accusé, en fonction des faits eux-mêmes.
Je continuai de prier, et ce passage où Mary Baker Eddy énonce l’obligation d’observer la loi me vint à la pensée: « Les Scientistes Chrétiens obéissent aux lois de Dieu et aux lois de leur pays... » The First Church of Christ, Scientist, and Miscellany, p. 128. Cela me donna le courage de prendre position pour Dieu, de choisir la Vérité et l’Amour et de voir que si l’homme réel créé par Dieu est innocent du mal, cela n’en doit pas moins être humainement vécu et prouvé. Ainsi, il fallait respecter les lois en vigueur et y obéir, et il fallait mettre un frein au péché et aux actes répréhensibles en les condamnant comme il convenait. Je sus alors que je pourrais déclarer le prévenu innocent aux yeux de Dieu — dans son moi véritable — mais que si les faits présentés s’avéraient de nature à prouver sa culpabilité, je reconnaîtrais l’humain coupable. Et je pourrais toujours continuer à prier en réfutant la possibilité que le mal fasse partie de l’identité réelle de l’homme.
J’étais à peine parvenu au terme de mon raisonnement qu’arriva mon tour d’être appelé dans l’enceinte réservée au jury. Je répondis aux questions des avocats et du juge et je fus retenu pour faire partie du jury.
L’exposé de l’affaire se prolongea plusieurs jours. La prière me protégea de l’attitude qui consiste à simplement réagir de façon négative à l’erreur, sans affirmer la vérité de nature à la corriger, ainsi qu’à accoler le mal à l’identité de l’accusé, quelque forme que prenne le mal pour se déguiser.
Lorsque vint le moment pour le jury de se prononcer, je fus très reconnaissant de pouvoir me conformer à la loi sans avoir le sentiment de fermer les yeux sur un méfait ou de condamner l’homme individuel. L’accusation se trouvant corroborée par les témoignages recueillis, le jury estima que l’accusé était coupable. Tous les jurés firent preuve d’une évidente compassion et d’une belle unanimité de vues. La délibération fut marquée par un profond sérieux, de l’équité, de la perspicacité, et ne donna pas lieu à des réactions passionnelles.
La plupart d’entre nous avaient fait état de leur préoccupation au sujet des enfants en cause et du fait que ces enfants devraient témoigner et répondre aux questions qui leur seraient posées au tribunal. Notre soulagement fut grand de voir comment s’y prirent pour ces interrogatoires ceux qui avaient le devoir d’y procéder: avec douceur, avec amour et avec le plus grand souci de ménager la sensibilité de ces enfants. Ce fut tout spécialement le cas de l’avocat de la défense. A de tels égards, les enfants répondirent pleinement: ils ne manifestèrent ni embarras ni mauvaise volonté, et il ne sembla pas que la procédure les ait intimidés. De tout cela, je rendis silencieusement grâce à Dieu.
Combien je suis reconnaissant d’avoir pu trouver le discernement spirituel nécessaire, à un moment où j’avais vraiment besoin d’être guidé et soutenu par la Vérité et l’Amour. Je fus à même de participer à un verdict conforme à la justice, rendu sur la base de l’Amour et du Principe, et d’accomplir ainsi mon devoir envers Dieu et envers l’humanité.
