Comme le dit Matthieu (2:2), les mages de l'Orient arrivèrent à Jérusalem avec cette question sur les lèvres: « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? »
C'est en partie à cause de sa propre ascendance qu'Hérode se sentit troublé en apprenant que l'on recherchait un descendant royal du trône de Juda. S'il avait été un vrai Juif au lieu d'un Iduméen, Hérode n'aurait pas risqué le mépris de ceux à qui il demandait «où devait naître le Christ » (verset 4). Longtemps les Juifs avaient anticipé la venue d'un Messie dont l'ascendance remonterait à Jacob, mais les citoyens d'Idumée — l'Édom de l'Ancien Testament, descendants d'Ésaü, le frère de Jacob — n'auraient eu que vaguement connaissance de la prophétie messianique.
Mis en garde contre la colère et la jalousie d'Hérode à l'égard de tout enfant mâle né à Bethléhem au cours des deux années précédentes, les mages se refusèrent à fournir au roi le moindre renseignement sur la naissance de l'enfant. « Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » (verset 12).
Promptement, Hérode ordonna par décret la mise à mort de tout enfant né à Bethléhem et les environs pendant la période de deux ans au cours de laquelle les mages avaient observé l'étoile (voir verset 16).
Malgré le déroulement apparemment sans heurt de cette opération criminelle qu'Hérode avait montée contre les petits enfants, celuici n'en rata pas moins son objectif principal, à vrai dire; l'Évangile nous relate en effet qu' « un ange du Seigneur » (verset 13) avait secrètement averti Joseph du danger qui les menaçait. Joseph et Marie, avec Jésus, se dirigent vers l'Égypte afin de s'y réfugier jusqu'à ce qu'ils puissent retourner chez eux sans danger.
Bien des fois dans le panorama historique de la Bible, on voit des hommes appartenant au peuple d'Israël se tourner vers l'Égypte pour être secourus, soit devant la famine, soit devant la pression des événements politiques. Il faudrait au petit groupe de voyageurs quelque trois jours pour parvenir au « torrent d'Égypte » (Josué 15:47) que l'on appelle aussi parfois « le ruisseau de l'Égypte », petit cours d'eau qui, à environ quatre-vingts kilomètres au sud de Gaza, se jette dans la Méditerranée.
Nous ignorons la durée du séjour en Égypte de ce qu'il est convenu d'appeler « la sainte famille ». Le seul rapport à ce sujet nous vient du dénommé Nouveau Testament Apocryphe; il est extrêmement fantaisiste, reprenant certaines traditions plutôt légendaires que véritables et principalement faites de récits miraculeux ayant trait à l'enfant Jésus.
Entre-temps, le règne d'Hérode le Grand atteint son terme ignominieux, au grand soulagement, du moins provisoire, de ses sujets harassés. Dans ses dernières années, le tétrarque était devenu encore plus dangereux qu'auparavant, affligé comme il l'était par la maladie et la démence.
«Quand Hérode fut mort, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Égypte, et dit: Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, et va dans le pays d'Israël, car ceux qui en voulaient à la vie du petit enfant sont morts » (Matth. 2:19, 20).
A la mort d'Hérode, l'an 4 av. J.-c., les territoires sous sa juridiction furent partagés entre ses trois fils, et la Judée, l'Idumée et la Samarie passèrent sous le sceptre d'Archélaüs. Cela ne constituait guère un progrès, le règne d'Archélaüs devant se révéler encore pire que celui de son père. Voici ce qu'en dit Edersheim: « Par la cruauté, l'oppression, le faste, l'égoïsme le plus abject et la sensualité la plus basse, il dépassait de loin Hérode sans avoir toutefois son talent ni son énergie » (The Life and Times of Jesus the Messiah [La vie et l'époque de Jésus le Messie], vol. 1, p. 220). Et pendant dix ans Archélaüs domina sur la Judée jusqu'au moment où finalement l'empereur romain le destitua en raison de la clameur universelle que suscitaient ses crimes et ses malversations en tous domaines.
Bethléhem, l'ancestrale « cité de David », aurait semblé tout logiquement indiquée pour élever celui que l'on devait saluer plus tard du titre de « fils de David »; il est toutefois bien compréhensible que Joseph ait hésité à se placer sous la juridiction d'Archélaüs dont la cruauté et les inconséquences s'avéraient sans borne. « Et, divinement averti en songe, il se retira dans le territoire de la Galilée, et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par les prophètes: Il sera appelé Nazaréen » (Matth. 2:22, 23).
Cette prétendue citation d'un auteur prophétique a intrigué de nombreux érudits; on n'en trouve nulle part la source dans l'Ancien Testament, nulle part non plus le mot « Nazaréen ». Les écrivains du Nouveau Testament étaient familiers avec le langage araméen qui fait partie du groupe sémitique, et, à ce propos, il est intéressant d'apprendre que l'équivalent araméen du grec « Nazaréen » a la même sorte de résonance que le mot «rameau » en langage sémitique (voir Ésaïe 11:1). Peut-être Matthieu faisait-il là un jeu de mots, comme beaucoup d'écrivains bibliques, rappelant ainsi à ses lecteurs que dans sa prédiction du Messie, l'Ancien Testament en parle en effet comme d'un rameau.
Eût-il été vraisemblable de voir à cette époque le tétrarque de Galilée ne se préoccupant pas de Christ Jésus et de ses gardiens, ne les poursuivant pas ? Nous l'avons dit plus haut, à la mort d'Hérode le Grand, ses fils s'étaient partagé le royaume. Tandis que la Judée échoit à l'abject Archélaüs, la Galilée et la Pérée reviennent à Hérode Antipas.
Tout aussi dépourvu de scrupules que le restant de la famille, Antipas, dans l'ensemble, s'intéressait davantage à construire des villes qu'à tyranniser ses sujets; ainsi les premières années de Jésus trouvent-elles un asile relativement paisible en Galilée.
Nous pourrions bien nous arrêter quelques instants ici pour contempler le cadre dans lequel se situe le village de Nazareth qui abrita les première années de notre Maître. En dépit de sa beauté, les habitants de la Judée méprisaient la province de Galilée; ils étaient fiers de vivre eux-mêmes tout près de Jérusalem, traitant dédaigneusement cette province palestinienne éloignée de « la Galilée des Gentils » (Matth. 4:15). En outre, elle était séparée de la Judée par un territoire appartenant aux Samaritains, ennemis traditionnels des Juifs (voir Jean 4:9), ce qui ne faisait, en ce qui concernait les Juifs en tout cas, que renforcer l'isolement de cette contrée.
Dès sa plus tendre enfance, l'éducation d'un enfant juif commençait par des versets tirés de l'Ancien Testament. Il apprenait sur les genoux de sa mère le fameux mot d'ordre du Shema qui concernait la loyauté envers le seul Dieu, ainsi appelé en raison des deux premiers mots en hébreu, « Shema Yisrael »: « Écoute, Israël ! L'Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel. » (Voir Deut. 6:4–9; 11: 13–21; Nombres 15:37–41.)
Les exploits de David, son illustre ancêtre, parmi d'autres héros de l'Ancien Testament, avaient assurément aux yeux de Jésus, enfant, un attrait tout particulier. Dès l'âge de cinq ans, il se joignait à ses parents, Joseph et Marie et ils étudiaient la Bible hébraïque.
Vers six ans, il enterait sans doute à l'école primaire dépendant de la synagogue de Nazareth et que l'on appelait Beth Ha-Sepher, c'est-à-dire « la Maison du Livre ». Évidemment, le « Livre » en question, le seul livre d'étude en usage, c'était l'Ancien Testament. Mais dans l'éducation de l'enfant, on insistait surtout à l'époque sur l'étude de certaines parties de la Loi mosaïque, de certains Psaumes, le tout à apprendre par cœur.
Et toute cette période de la jeunesse de Jésus se trouve joliment résumée en ces paroles de Luc (2:40): «L'enfant croissait et se fortifiait. Il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. »
