Lorsque Christ-Jésus prononça ces paroles rapportées au cinquième chapitre de saint Matthieu: “Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l'autre. Si quelqu'un veut plaider contre toi pour t'enlever ta tunique, laisse-lui encore le manteau; et si quelqu'un veut te contraindre de faire un mille avec lui, fais-en deux,”— il renversa, en quelques brèves phrases, tout le code de morale religieuse et professionnelle généralement pratiquée par le genre humain à cette époque-là. La loi mosaïque: “Œil pour œil, et dent pour dent,” avait jusqu'alors été reconnue comme la norme d'une conduite équitable. Chacun insistait sur ses propres droits, accordant à son prochain les mêmes droits, et pas davantage. Ce qu'ayant fait, chacun, du moins à son propre point de vue, avait accompli la loi.
Tout cela, cependant, était balayé d'une façon déconcertante par le nouveau régime, par la demande étonnante qu'il faudrait faire plus que ce qui est légalement requis de nous. Si un homme “veut te contraindre de faire un mille avec lui, fais-en deux.” Il y avait là de quoi faire hésiter même un homme pieux de l'époque, comme aujourd'hui cela excite une protestation instinctive dans l'entendement humain, pour lequel la chose est trop altruiste — trop peu pratique et à laquelle il est impossible d'arriver.
Mais Christ-Jésus n'a jamais donné de commandement qui ne soit pas susceptible d'être suivi, fait qu'il prouva en vivant ce qu'il enseignait. Sa mission était de montrer “la voie la plus excellente,” dont la note tonique est l'amour, et d'en prouver l'efficacité. Non seulement ce que la loi exigeait, mais ce que l'amour dictait; non uniquement l'accomplissement d'une juste obligation, mais encore la courtoisie de la bonté, chose petite en elle-même, peut-être, mais grande parce que l'amour en est le mobile; ce dont Robert Browning avait sûrement perçu une lueur lorsqu'il écrivit:
Peu de chose en plus,— quelle richesse!
Peu de chose en moins, et que le vide est grand!
Seuls ceux qui, par une compréhension de la Science Chrétienne, apprennent à faire le second mille, savent que c'est un sentier de délices. Le mille fait parce qu'on y était contraint est relativement long, car l'amour donne des ailes à la marche. Certes, de telles fleurs n'ont jamais bordé la route durant ce premier mille, et l'air n'était pas si vivifiant! La joie de ce qu'on gagne en étant disposé à céder, de ce qu'on obtient en lâchant prise, de ce qu'on reçoit en donnant, suffit en elle-même à faire que tout chemin paraît court, que la plaine aride fleurit comme le lis.
L'entendement humain est essentiellement enclin à insister sur ce qu'il considère comme ses droits, disant: “Telle chose est mon droit, par conséquent je la ferai; j'ai le droit d'aller par là, donc j'y irai!” Ah, mais il y a quelque chose de plus haut que cette évaluation de notre droit: c'est le privilège que nous avons d'abandonner ce qui semble être notre droit par amour pour le royaume des cieux, de donner encore notre manteau quand notre tunique a été enlevée,— c'est le privilège inexprimable de faire le second mille.
C'est précisément là, à la jonction du premier et du second mille, que le soi-disant entendement charnel est prompt à suggérer la perte: Regarde ce que cela coûtera de suivre cette voie; mesure l'appauvrissement qui en résultera peut-être; pense bien aux difficultés que tu pourrais rencontrer; bref, considère toute l'affaire comme la considérerait le monde, le fait qu'au point de vue commercial ce serait probablement “une mauvaise affaire,” et surtout qu'il n'est pas question d'obligation — que tu n'es nullement obligé de faire cela. Non, tu n'y es point obligé, sauf par le pouvoir irrésistible de l'amour, l'amour qui se réjouit de trouver son avantage en cherchant celui d'un autre, qui est prêt à ignorer toute tendance ou tout désir personnels en faveur de ce qui apporte le plus grand bien au plus grand nombre, l'amour qui cherche premièrement le royaume des cieux.
Qu'aucun de ceux qui se sentent poussés à faire le second mille n'en soit détourné par l'argument que son acte entraînerait une perte. “Donnez, et on vous donnera,” a dit le Maître; “on versera dans votre sein une bonne mesure, pressée, secouée, débordante.” Il n'est rien qui récompense si royalement que d'accomplir la loi de l'Amour. Pour atteindre à la vraie prospérité, il n'est point de sentier plus sûr que celui de second mille, dont chaque pas s'inscrit dans le grand-livre de l'amour. Qu'importe si ce chemin semble temporairement détourner du gain matériel, de la voie que le monde sanctionnerait et acclamerait? “La sagesse de ce monde est une folie devant Dieu,” écrivit l'apôtre Paul; et s'il est une chose dont nous puissions être parfaitement sûrs, c'est que le monde ne croit pas qu'il soit sage de faire le second mille, et que ceux qui sont sages selon le monde ne se trouveront jamais sur ce chemin. Néanmoins, c'est assurément la voie par laquelle on s'amasse des trésors dans le ciel. Peut-être pensons-nous que le second mille a été parcouru en secret, que nous l'avons suivi inaperçus; mais tôt ou tard nous apprendrons que quelqu'un a remarqué la chose et en a été frappé, que l'attention de quelqu'un a été éveillée et qu'on a été amené à demander: “Qu'est-ce qui pousse à cela?”
Il y a tant de manière de faire le second mille, à la maison, au magasin, au bureau, en quelque endroit que se trouve notre sentier journalier. Une famille reçut sa première impression favorable de la Science Chrétienne du fait qu'un de ses membres, un jeune homme de vingt ans, commença sans qu'on l'en priât à arranger dans la maison certains détails contribuant au confort et au bien-être, en général, chose qu'il n'avait jamais faite avant de s'intéresser à la Science Chrétienne. Tranquillement et discrètement, il faisait le second mille. Dans un bureau d'assurances, une jeune fille élevée dans un foyer Scientiste Chrétien se fit remarquer dès son entrée dans le monde des affaires par la grâce naturelle avec laquelle elle rendait affectueusement service à son entourage. Le second mille était devenu pour elle une seconde nature.
Le second mille prêche l'évangile du royaume; il le prêche comme de simples paroles ne pourraient jamais le faire, car c'est l'amour démontré. Ceux qui font seulement ce qui est exigé d'eux, si bien que soit accompli le travail, ne connaissent rien de sa joie. Le monde lâche pour ainsi dire ses outils au son de la sirène: il fait la chose pour laquelle il est payé, et pas davantage. Il distingue entre travail et service; mais à moins que le travail ne devienne service, et que le service ne soit l'effet de l'amour, il continue à être plus ou moins une corvée. Le vrai esprit de service ne pèse jamais une question dans la balance de l'intérêt personnel.
Jamais, assurément, en dehors des enseignements et de l'exemple du Maître, l'esprit du second mille n'a été exprimé comme il l'est dans l'article intitulé “Aimez Vos Ennemis,” dans Miscellaneous Writings, par Mary Baker Eddy. “Je pensais aussi,” écrit Mrs. Eddy, à la page 11 de ce livre, “que si j'instruisais gratuitement des étudiants indigents, les assistant ensuite pécuniairement, ne cessant pas d'instruire les obstinés à la fin du cours, mais les suivant et leur donnant précepte sur précepte; que, si mes instructions les avaient guéris et leur avaient montré le sûr chemin du salut,— j'avais fait tout mon devoir envers les étudiants.” Et elle ajoute ensuite cette profonde déclaration: “L'Amour ne mesure pas la justice humaine, mais la miséricorde divine.” La justice humaine peut suggérer que le mille obligatoire est amplement suffisant. La miséricorde divine dit avec insistance: “Fais-en deux.”
