Le mensuel économique Enjeux Les Échos a publié dans son numéro spécial de juillet-août 2003 un dossier de plus de soixante-dix pages intitulé « Dieu, La valeur qui monte ».
Ainsi, par exemple, après avoir noté que l'individu ne se reconnaît plus dans la mondialisation matérialiste qui semblait promettre la prospérité à l'homme moderne, Marie-Paule Virard note: « De brillants esprits ont beau jurer qu'il s'agit là du sens de l'Histoire, il ne se voit pas d'avenir dans un monde auquel il ne trouve plus de sens. Or l'homme est un être métaphysique, perpétuellement en lutte contre le désenchantement du monde dont parlait Weber. » Et elle cite la philosophe Chantal Delsol: « On était resté à l'idée du progrès avec un grand P et avec l'idée marxiste selon laquelle la religion était destinée à s'effacer avec la conquête par l'homme de son autonomie. Or c'est justement la chute du communisme qui nous révèle à quel point nous ne pouvons nous passer de Dieu, parce que nous sommes des hommes et que nous sommes toujours mortels. »
Plus loin, elle poursuit: « La re-sacralisation du monde est avant tout une quête de sens, au moment même où les deux grandes structures qui ont “encadré” le XXe siècle (Église catholique et parti communiste) se sont effondrées. Les hommes se détournent des Églises, mais veulent s'inscrire dans une aventure spirituelle. Retrouver la chaleur des communautés. Quelles qu'elles soient... »
Parmi les nombreuses autres personnalités citées par Marie-Paule Virard, on peut noter encore Danièle Hervieu-Léger, directrice du Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux à l'EHESS [École des hautes études en sciences sociales]: « Aujourd'hui, on sait que la fiction du citoyen pur de toute appartenance a vécu et que, y compris sur le terrain du christianisme, on va voir s'affirmer de plus en plus la revendication d'une démocratie des différences... » Puis Jean-Paul Willaime, le directeur du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité au CNRS [Centre national de la recherche scientifique]: « Être universel, c'est être ancré quelque part, tout en étant ouvert à l'autre. Cela va à rebours de la tradition philosophique française qui voudrait que l'on ne puisse être universel qu'en s'arrachant à ses ancrages particuliers. Cela n'a rien à voir non plus avec la mondialisation, qui n'est universelle que par abstraction et standardisation. Un enfermement. » Et enfin Yves Lambert, sociologue, directeur de recherche INRA/CNRS [Institut national de la recherche agronome]: «Le fait que le Comité national d'edithique ait intégré des représentants des diverses confessions, à titre consultatif, est un signe. Cela aurait été in pensable il y a cinquante ans.»
Être universel, c'est être ancré quelque part, tout en étant ouvert à l'autre.
« Comment ne pas rêver, note l'auteur de l'article dans sa conclusion, d'un XXIe siècle religieux pour le meilleur (la fraternité si chère à André Malraux), mais non pour le pire (l'attentat contre les Twin Towers de New York). »
Le dossier se poursuit par plusieurs reportages sur l'essor actuel de la ferveur religieuse, sur des jeunes chanteurs de rock européens qui revendiquent « une nouvelle évangélisation » chrétienne, sur la situation des musulmans bretons... Ensuite, l'anthropologue René Girard, lors d'un entretien avec les Enjeux, affirme que « le rationalisme occidental né au XVIIIe siècle ne voit pas que tout ce qu'il porte de bon en lui, son humanité plus grande, il le tient du christianisme ».
Suivent de nombreux articles et reportages sur l'effet de la poussée religieuse en matière d'économie et notamment sur les éditions chrétiennes. Stéphane Lupieri, après avoir noté dans son article qu'« on assiste depuis quelques années à un regain d'intérêt du grand public pour les questions spirituelles », cite Jean Mouttapa, responsable de la collection « Spiritualités vivantes » chez Albin Michel: « On ne compte plus les individus en quête de sens que le discours de l'Église fait fuir, mais qui restent dans la nostalgie de l'Évangile. » Stéphane Lupieri cite également plusieurs ouvrages qui connaissent un grand succès actuellement et dans lesquels « les questions spirituelles sont abordées de façon non confessionnelle et en laissant la place au témoignage ». Par exemple, La Bible dévoilée, des archéologues américains Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman. « Les ventes, dit-il, frôlent déjà les 60 000 exemplaires alors que Bayard n'espérait pas dépasser les 6000. » Il en va de même pour les livres qui traitent de l'interreligieux, tels ceux du père Émile Shoufani. « Ce prêtre catholique qui œuvre depuis la Terre sainte pour le dialogue entre les communautés juive et palestinienne a séduit avec ses ouvrages Le curé de Nazareth et Comme un veilleur attend la paix. » Le phénomène s'étend à des ouvrages consacrés à l'expérience individuelle et qui visent à apporter la paix de l'esprit, tel Plus fort que la haine de Tim Guénard, qui s'est vendu à plus de 300 000 exemplaires en France. En effet, explique M. Lupieri, « questionnée dans sa portée historique et littéraire, la religion l'est aussi de plus en plus dans sa dimension philosophique, voire thérapeutique ». Et de conclure: « Moins confessionnelle, plus spirituelle... plus ouverte sur l'expérience individuelle, la nouvelle édition religieuse ne prêche pas dans le désert. »
