“Je prie surtout pour la paix.” — Rami
est juif. est palestinien et citoyen israélien. Tous deux savent ce que c'est que de bien s'entendre avec son voisin. Ils ont grandi dans un petit village d'Israël, où Juifs et Arabes ont choisi, il y a plus de vingt ans, de vivre côte à côte. Le village, situé à mi-chemin entre Jérusalem et Tel-Aviv, s'appelle Neve Shalom/Wahat Al-Salam, c'est-à-dire I’ « Oasis de la paix ».
Rami, qui a terminé le lycée en juillet, habite dans ce village depuis l'âge de quatre ans. Ori est né dans le village, et il y est retourné après avoir passé trois ans avec sa famille aux États-Unis, quand il était petit.
Ori et Rami voyagent dans différentes parties du monde pour promouvoir la résolution pacifique des conflits. Ils parlent également de Neve Shalom/Wahat Al-Salam dans des écoles et dans des associations de jeunes. L'an dernier, Rami a fait partie, pendant trois semaines, d'une délégation de jeunes du monde entier qui s'est rendue au siège des Nations Unies pour parler des problèmes auxquels fait face sa génération. Ori s'occupe également d'une association de jeunes qui sensibilise les gens aux problèmes de l'environnement, et il milite dans un groupe de jeunes au sein de l'association « La paix maintenant ». Dans cet entretien avec le Héraut, tous deux parlent de I’ « Oasis de la paix » et donnent leur point de vue sur le conflit israélo-palestinien.
Parlez-nous du village où vous avez grandi et de ses origines.
Ori: En 1972, un prêtre dominicain du nom de Bruno Hussar a décidé de s'installer sur un terrain dénudé, à flanc de colline, qu'il avait loué à un monastère voisin. Il voulait bâtir un village où des croyants appartenant aux trois religions monothéistes, chrétiens, musulmans et juifs, pourraient vivre ensemble.
Mes parents s'étaient rendus dans un camp organisé par le Père Bruno, à l'époque où celui-ci vivait dans un vieil autobus, sur son terrain. Il leur a parlé de son idée, et quelques années plus tard, mes parents sont venus vivre dans ce village. Ils ont fait partie des premières familles à s'y installer. Au départ, il n'y avait rien. Ni eau ni électricité, aucune route praticable. Juste des caravanes. Aujourd'hui, le village compte une cinquantaine de familles: c'est une population moitié arabe (musulmans et chrétiens), moitié juive, conformément à la règle instituée.
Rami: Nous avons aussi une école bilingue qui va jusqu'à l'âge de 12 ans. Ensuite, il faut aller dans des écoles hors du village. Les Arabes vont dans un établissement, et les Juifs dans un autre. C'est dur à ce moment-là d'être séparé de ses amis.
Avez-vous reçu une éducation religieuse particulière ?
Ori: Mes parents sont tous deux juifs. Nous célébrons les fêtes juives, mais nous ne sommes pas pratiquants. Je considère quand même que je fais partie du peuple juif car je suis né dans le judaïsme.
Rami: Mon père est musulman et ma mère chrétienne. Nous célébrons donc les fêtes des deux religions, mais aucun de mes parents n'est pratiquant. Moi-même, je n'ai aucune religion, mais je crois en Dieu. Je crois que Dieu a tout créé, et que tout dépend de Lui. Je ne crois pas que Dieu dirige notre existence, mais la façon dont nous sommes censés vivre nous est inspirée.
Ori: Je considère Dieu comme le Créateur de l'univers, ou Celui qui dicte les lois de la Nature, encore que je n'en sois pas vraiment sûr.
Comment la vie s'organise-t-elle dans le village ?
Ori: C'est vraiment une petite communauté. De simples frictions entre les gens risquent parfois de dégénérer du fait qu'ils vivent très près les uns des autres. Il y a pas mal de disputes. Mais les habitants du village se réunissent toujours pour débattre des problèmes, et les décisions sont soumises au vote. C'est démocratique.
Rami: Faute de parvenir à un accord après une discussion, le village peut être convoqué à une autre réunion. Mais il faut avoir au moins dix-huit ans pour participer à ces assemblées. A votre avis, pourquoi les Arabes et les Juifs vivent-ils en paix dans ce village, alors qu'ils sont en guerre dans le reste du pays ?
Rami: Je pense que c'est parce que nous nous parlons au village. Aujourd'hui, à peu près partout en Israël, les Arabes et les Juifs ne communiquent pas entre eux — que ce soit à propos du conflit ou même dans la vie quotidienne. Lorsque je bavarde avec l'épicier juif, dans la rue, il me dit qu'il est en bons termes avec les Arabes parce qu'ils viennent faire leurs courses chez lui. Le propriétaire du restaurant juif pense, lui aussi, qu'il s'entend bien avec les Arabes parce qu'ils viennent manger chez lui. Mais ils ne se parlent pas et ne s'écoutent pas vraiment.
“Un leader courageux ne s'abrite pas derrière de fausses excuses et ne s'en prend pas aux autres quand Ça va mal. Il ne peut être ni vindicatif ni rancunier.” — Ori
Croyez-vous encore à la possibilité d'une coexistence pacifique entre Arabes et Juifs ? On rapporte qu'au début de l'année, après avoir appris qu'en Israël un adolescent venait de se suicider en se faisant sauter avec une ceinture bourrée d'explosifs, le président Bush aurait dit: « C'est l'avenir même qui est en train de mourir. »
Ori: Les nouvelles d'Israël ne sont guère encourageantes. Lorsque des adolescents palestiniens sont prêts à se suicider pour tuer des Israéliens, cela en dit long sur le désespoir qui règne au sein du peuple palestinien. Il faut vraiment croire ne plus rien avoir à perdre pour se suicider.
Rami: Je demeure malgré tout optimiste: à mon avis, les Arabes et les Israéliens trouveront une solution parce qu'il faudra bien que les uns comme les autres vivent sur cette terre. Aucun des deux peuples ne va s'en aller. Ils seront donc obligés de faire des concessions mutuelles. Il faudra deux leaders courageux pour cela. Alors il y aura la paix.
Qu'est-ce qu'un leader courageux, selon vous ?
Rami: Quelqu'un qui est prêt à faire des compromis très difficiles et à reconnaître ses erreurs; quelqu'un qui ne berce pas son peuple d'illusions et qui ne fait pas des promesses irréalistes. Un dirigeant courageux fait du bien à son peuple, il n'est pas égoïste. Il cherche à répondre aux besoins de ses compatriotes plutôt qu'aux siens.
Ori: Je suis d'accord avec Rami. Un dirigeant courageux est capable de prendre des décisions difficiles, il voit à long terme et non pas simplement à court terme. Et il ne pense pas seulement à son propre peuple, mais aussi aux autres. Il est honnête. Il ne s'abrite pas derrière de fausses excuses et ne s'en prend pas aux autres quand ça va mal. Un dirigeant courageux ne peut être vindicatif ni rancunier.
Rami: Yitzhak Rabin [ancien premier ministre israélien] avait les qualités d'un grand leader. C'est lui qui a ouvert le dialogue avec les représentants du peuple palestinien pour parler de l'avenir avec eux. Et Gamal Abdel-Nasser [ancien président égyptien] également. Le peuple égyptien l'aimait. Il a amélioré les conditions de vie en mettant de l'ordre dans le pays et en faisant reculer la pauvreté. Les gens avaient le sentiment que chacune de ses décisions était motivée par son désir de les servir.
Quels sont, selon vous, les plus grands obstacles à la paix dans un conflit ?
Ori: S'il y a conflit, c'est bien souvent parce que deux personnes refusent de s'accepter mutuellement. L'une des deux refuse d'accorder à l'autre les droits dont elle jouit. L'éducation peut changer les choses. C'est un élément essentiel dans n'importe quel conflit. Et tout particulièrement dans le conflit israélo-arabe, car l'éducation peut amener les Juifs et les Palestiniens à accepter le fait qu'ils doivent partager la terre sur laquelle ils vivent. Seule la coexistence peut assurer la paix entre les deux peuples. Bien sûr, il y a d'autres questions à régler, des questions portant sur la répartition des terres, sur l'eau, sur les réfugiés. Même si ce n'est pas facile, on peut trouver des solutions.