Il y a peu d'épisodes dans la première partie de la carrière de Christ Jésus qui soient repris à la fois par les quatre évangélistes; il y en a moins encore qui soient dépeints avec autant de détails que sa rencontre avec Jean-Baptiste. Le travail de celui-ci est minutieusement décrit, et l'attention s'y rive en raison de la venue de Jésus aux berges du Jourdain.
Lorsque Jésus se présente à Jean pour être baptisé, selon la plupart des érudits, il a environ trente ans. Certaines théories ne se sont jamais vues dûment confirmées concernant la période précédant cet événement, savoir où a vécu le Nazaréen depuis le moment où, à douze ans, il a assisté à la Pâque à Jérusalem. Cette incertitude a engendré bien des légendes. Il aurait, dit-on, voyagé en différentes parties du monde, et étudié auprès de maîtres de religion marqués de traditions et d'horizons divers. Il n'en reste pas moins que tout ce que nous savons selon les récits bibliques ne fait que confirmer la thèse naturelle qui veut que ces « années silencieuses » se soient écoulées à Nazareth en Galilée. Il paraît évident, d'une part, que cette profonde spiritualité si caractéristique lui venait de la communion très proche et ininterrompue qu'il entretenait avec son Père céleste et, d'autre part, qu'il puisait dans les eaux de la religion du peuple hébreu dont il était issu.
En s'adressant à Jean pour être baptisé, Jésus abordait un prophète d'une tradition différente. Les prophètes de l'Ancien Testament avaient, à cor et à cri, réclamé de la part de la nation certaines réformes religieuses et sociales: mais l'exhortation que Jean adressait à ses disciples était unique; elle invitait à la régénération s'accompagnant d'un rite symbolique devant donner la preuve manifeste d'une rénovation de la pensée. Les anciens documents bibliques n'avaient pas non plus laissé entendre que les foules venaient chercher conseil auprès des prophètes de l'Ancien Testament comme le faisaient « la foule », les publicains et les soldats auprès de Jean (voir Luc 3:10–14). Et pourtant, c'était là quelqu'un qui leur parlait avec l'autorité d'un prophète, dont la robe même rappelait au peuple Élie, le grand prophète d'Israël (comparer Matth. 3:4; Marc 1:6; II Rois 1:8).
Depuis quelque temps déjà sans doute quand Jésus vient écouter sa prédication, Jean-Baptiste fait preuve d'une grande activité; il s'efforce d'éveiller ses compatriotes et de les détourner de leur apathie religieuse vers la régénération spirituelle.
C'est de son obscure retraite que Jean était sorti pour prêcher dans le désert de Judée. Comme le dit Luc: « Et il alla dans tout le pays des environs du Jourdain, prêchant le baptême de repentance, pour la rémission des péchés » (3:3). Il y avait parmi « ceux qui venaient en foule pour être baptisés par lui » (verset 7) des gens représentant les diverses couches de la société juive d'alors. Et Matthieu rapporte (3:5): « Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui. »
Comme bien d'autres usages repris dans le Nouveau Testament, se purifier par des ablutions ou par immersion, n'était pas chose tout à fait nouvelle. Depuis longtemps déjà, selon la tradition, le judaïsme exigeait de ses prosélytes l'obéissance à ce rite; il prenait cependant un autre sens, tel que Jean le pratiquait. Pour lui, cette ablution, ce baptême, représentait un symbole de repentance, de renouveau intérieur.
Le courage et l'énergie caractérisant la prédication du Baptiste n'attiraient pas seulement ceux qui répondaient honnêtement à son appel au jugement et à la repentance, mais également ceux qui se plaisaient aux débats.
La nouvelle se répandait rapidement: il y avait quelqu'un d'assez intrépide pour dénoncer les agissements des autorités ecclésiastiques officielles de l'époque ! Bien que Jean poursuivît son œuvre à Béthanie, de l'autre côté du Jourdain, sur la rive est, non loin, croit-on, de Jéricho, les autorités du temple à Jérusalem en entendirent bientôt parler. Nous lisons (Jean 1:19–21): « Les Juifs envoyèrent de Jérusalem des sacrificateurs et des Lévites, pour lui demander: Toi, qui es-tu ? ... Il déclara qu'il n'était pas le Christ. » Alors ils lui demandèrent: « Es-tu Élie ? Et il dit: Je ne le suis point. Es-tu le prophète [voir Deut. 18:15, 18] ? Et il répondit: Non. »
Comme ils demandaient quelque réponse à rapporter à Jérusalem, Jean accéda à leurs vœux et expliqua sa mission en citant Ésaïe 40:3. Et, comme de plus, ils mettaient en question les baptêmes caractérisant son œuvre, il répondit qu'il était l'avant-garde de celui qui viendrait après lui (Jean 1:27; Luc 3:16).
Et Jean-Baptiste refuse d'assumer le rôle du grand Messie qu'il était venu proclamer et se prétend indigne d'accomplir pour lui même la moindre tâche: « Moi, je vous baptise d'eau, pour vous amener à la repentance; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu » (Matth. 3:11).
« Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s'y opposait, en disant: C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et tu viens à moi ! » (Versets 13, 14.) Jésus expliqua: « Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste » (Matth. 3:15). Les Juifs estimaient en général que la justice était synonyme de toute action ou ordonnance sage et équitable. Assurément pour la plupart de ceux que Jean baptisait, cela devait signifier la consécration au service de Dieu, donc une association en quelque sorte avec la venue de Son royaume que tout loyal Israélite attendait depuis longtemps.
Si tel était le cas, il n'est donc nullement surprenant que Christ Jésus ait volontiers participé à cette cérémonie significative bien qu'apparemment simple; elle marque le début de sa carrière publique.
Jean avait déjà baptisé un grand nombre de ses compatriotes — peut-être même des centaines — riches ou pauvres, indifféremment. Ce baptême demandé par notre Maître, tout en étant extérieurement identique à ceux qu'il avait administrés à d'innombrables autres personnes, marque le point culminant de la carrière de Jean-Baptiste.
L'Évangile de Jean reconnaît que le Baptiste était conscient du rôle qu'il jouait dans l'accomplissement prophétique. Il rapporte la perspicacité dont il avait fait preuve en identifiant Jésus en tant que « l'agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde », celui qui doit être « manifesté à Israël », qui « baptise du Saint-Esprit » — qui était en vérité « le Fils de Dieu » (Jean 1:29, 31, 33, 34).
Quand nous lisons « je ne le connaissais pas » (verset 33) cela veut sans doute simplement dire que le Baptiste n'avait pas immédiatement reconnu Jésus. Bien que l'Évangile indique qu'il existe quelque lien de parenté entre eux (voir Luc 1:36) et que vraisemblablement ils se connaissaient de réputation, il est probable qu'ils ne s'étaient jamais rencontrés, puisque leurs familles respectives habitaient en deux points opposés de la Palestine.
Rien n'indique exactement le moment où Jésus rejoignit la foule se pressant autour de Jean, ni s'il en avait longtemps écouté la prédication. Peut-être avait-il entendu Jean mentionner la fierté nationale d'être de la descendance d'Abraham, l'arbre qui ne porte pas de bons fruits et la séparation du blé et de la paille inutile (voir Matth. 3:9—12). Dans son propre ministère, Jésus allait se servir de pareils thèmes et exemples.
Les quatre Évangiles se réfèrent au point final du baptême de Jésus à peu près selon les paroles de Marc (1:10, 11): « Il vit les cieux s'ouvrir, et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et une voix fit entendre des cieux ces paroles: Tu est mon Fils bienaimé, en toi j'ai mis toute mon affection. » (Voir aussi Matth. 3:16, 17; Luc 3:21, 22; Jean 1:32.)
