La tentation peut revêtir plusieurs masques mais n'a vraiment que deux visages, car si elle peut prendre de multiples déguisements, ils se ramènent tous à l'une de ces deux attractions fondamentales: le plaisir dans la matière ou la douleur dans la matière. Il faut beaucoup de sagesse pour percer à jour le mal sous une présentation peut-être attrayante, et une grande force de caractère est requise pour résister à ses séductions. Mais l'exercice de cette sagesse et de cette force développera les facultés latentes et dotera chacun des armes spirituelles nécessaires pour vaincre la maladie et la mort.
Il existe un contre-fait spirituel de grande portée et plein de force éternellement capable de nous libérer de toutes les suggestions mesmériques que la matière est désirable, douée de pouvoir ou substantielle. On n'en trouvera nulle part un meilleur exemple que dans l'épisode où Christ Jésus triomphe des trois tentations auxquelles il avait été soumis dans le désert, raconté dans le quatrième chapitre de l'Évangile selon saint Matthieu. Le pouvoir qu'avait le Maître sur le mal devait être mis à l'épreuve et développé avant qu'il s'avérât digne et capable d'annoncer à un monde en attente la Parole de Dieu révélée. Après avoir passé quarante jours dans le désert, il put vaincre instantanément et sans rémission chacune des tentations au moment même où elle se présentait à lui.
La première suggestion qui se présenta insidieusement fut celle de la faim, car il n'avait rien mangé durant cette période d'épreuve. Y avait-il rien de plus naturel que d'assouvir sa faim ? Et puisque rien d'autre ne se trouvait à sa portée, pourquoi ne pas exercer ce pouvoir qu'il tenait de Dieu en changeant en pains des pierres qui se trouvaient là ? Mais il rejeta vigoureusement cet argument en niant l'erreur latente qu'il masquait, c'est-à-dire que la vie dépend de la matière pour sa subsistance et sa continuité.
Plus clairement que quiconque, Christ Jésus vit que la Vie est Dieu et que par conséquent la matière ne la nourrit ni ne la conditionne. L'homme, la manifestation individualisée de la Vie, n'est jamais l'esclave de la faim, mais il est éternellement soutenu par la manne cachée — la Parole réconfortante de Dieu. C'est pourquoi Jésus, exalté par une intelligence sublime, put annuler la menace de souffrance dans la matière consécutive à un jeûne prolongé, en faisant allusion aux paroles immémoriales de Moïse aux Israélites (Matth. 4:4): « Il est écrit: l'homme ne vivra pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Une nouvelle suggestion, pleine de malignité, se présenta à Jésus: donner une preuve éclatante du pouvoir divin pour montrer qu'il était inséparable du Messie ou Christ. Peut-être que s'il se jetait du faîte du temple et qu'il ne lui arrivât pas de mal, cela ferait l'affaire. Mais le Maître rejeta cette proposition comme indigne de lui.
Le pouvoir du Christ, en effet, se reconnaît seulement aux idéals spirituels qu'il éveille et qu'il établit dans la conscience des hommes. Ce n'est pas aux sons d'une fanfare annonçant des performances individuelles spectaculaires, mais dans le silence de la prière et de la pensée, que le Christ vient guérir, régénérer les humains, et leur apporter le salut. Parfaitement au courant de ce fait, conscient et joyeux de ce que la matière ne lui était d'aucune aide dans son ministère sacré, Jésus réfuta l'argument en citant le message biblique (Matth. 4:7): « Il est aussi écrit: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. »
Le mal présenta alors sa proposition la plus séduisante: pourquoi ne pas utiliser le pouvoir du Christ pour obtenir les biens terrestres et l'autorité temporelle ? La route ouverte devant lui était dépourvue de toute satisfaction, toute facilité, toute adulation. Il n'y avait aucun péché, au fond, à employer la richesse matérielle, surtout si on pouvait grâce à elle établir parmi les hommes une conception plus élevée et plus digne des choses. Mais Jésus rejeta cette suggestion aussi rapidement qu'elle était venue. C'est par des moyens entièrement spirituels que le royaume de Dieu devait s'établir sur la terre. Il savait que seul Dieu, l'Esprit, était digne d'être adoré et servi.
Les objets matériels ne sauraient remplacer les richesses spirituelles. Ferme dans sa conviction de ce qui constitue les valeurs et le succès réels, c'est ainsi que le Maître repoussa le troisième assaut de l'erreur. Il fut alors l'objet de la sollicitude des anges de l'Amour divin, qui accompagne toujours une victoire sur la tentation et il prit avec sérénité le chemin qui devait le conduire à la croix et à la victoire finale, dans la joie et la paix, investi d'une nouvelle autorité.
La Science Chrétienne [Christian SciencePrononcer ’kristienn ’saïennce.] révèle à l'humanité la valeur pratique de ces épisodes bibliques. Les trois tentations affrontées par notre noble Guide se présentent à nous, sous une forme ou sous une autre, presque chaque jour. Elles illustrent les phases fondamentales, insidieuses ou agressives, du mal — de l'entendement charnel, à savoir la croyance à une vie organique et structurale dans la matière, nécessitant de la nourriture et des soins; la croyance à une matière intelligente capable d'imposer ses vues à l'Entendement, Dieu, et même de contribuer au dessein divin; la croyance, enfin, que la matière est substantielle et digne de tous les honneurs, peut-être même jusqu'au sacrifice de la morale.
Mary Baker Eddy, qui a découvert et fondé la Science Chrétienne, décrit ainsi la grandeur de vaincre la tentation (Miscellaneous Writings, p. 53): « L'erreur de supposer qu'il y a vie et intelligence dans la matière disparaît uniquement lorsque nous dominons l'erreur par la Vérité. Ce n'est ni le péché ni le suicide, mais la victoire sur la tentation et le péché, qui nous permettra d'échapper à la lassitude et à la perversité de l'existence mortelle pour arriver au ciel, à l'harmonie de l'être. »
Voilà qui promet de façon claire et réconfortante la récompense qui suit le triomphe sur la tentation, c'est-à-dire d'échapper aux châtiments pesant sur la mortalité et d'atteindre à l'harmonie céleste, ou le ciel. Le seul propos de la tentation est de mettre à l'épreuve la résistance morale de l'individu. Il n'y a aucun péché dans la tentation elle-même, mais le péché consiste à laisser la tentation nous dicter ses conditions et par là nous imposer ses châtiments. C'est la fonction du Christ de nous préserver de tomber dans la tentation. Le magnétisme animal, l'attraction exercée par la matérialité, peuvent prétendre qu'il y a douleur ou plaisir dans la matière; mais l'influence toujours active de la divinité dans la conscience humaine nous préserve de ces maux et les surmonte par la vérité que l'être est sainteté et pureté. La joie due au refus de céder aux suggestions du mal fera resplendir l'esprit du Christ dans notre existence, et clarifiera si bien notre conception de la réalité spirituelle que les croyances erronées à la vie et à l'intelligence dans la matière disparaîtront à jamais, et que la guérison par le Christ se vérifiera dans la victoire remportée sur les maux assaillant l'humanité.
Comme notre Guide, nous devrions nous rendre compte, lorsque nous sommes ébranlés par les suggestions du mal, que celles-ci ne proviennent pas de Dieu, de l'Entendement qui connaît tout, mais qu'elles sont des croyances erronées du sens personnel qui disparaissent quand nous reconnaissons l'omnipotence de l'Entendement.
Jean attribue ces paroles au Christ dans l'Apocalypse (3:10): « Parce que tu as gardé ma parole avec patience, je te garderai aussi de l'heure de l'épreuve, qui va venir sur le monde entier, pour éprouver les habitants de la terre. » Nous autres « habitants de la terre », qui avons encore une conception charnelle et mortelle de la vie, nous serons mis à l'épreuve, nous devrons croiser le fer avec l'erreur; mais si nous exerçons notre force spirituelle, nous verrons cette force se parfaire par la victoire sur les faiblesses passagères; la maîtrise appartenant au Christ nous préservera des tentations et nous n'en serons que plus forts pour les avoir affrontées. Les penchants latents vers les choses matérielles sont dévoilés à ces moments d'épreuve et le Scientiste Chrétien s'il est sage, sera reconnaissant de les voir mis à nu, et en disposera dans la joie et par la prière.
Les anges de la présence et de la puissance divines sont toujours à la portée de ceux qui luttent contre le péché et la tentation, pour les fortifier et les assister avec tendresse et amour à la fin du combat. En troupe innombrable ils attendent le moment de faire pénétrer ceux qui ont triomphé du moi et des sens dans l'atmosphère céleste de l'Amour divin, compris et démontré dans sa présence éternelle.
Jacques donne dans son épître le conseil suivant, inspiré de la révélation et de la sagesse acquise de l'expérience (1:2, 3): « Mes frères, considérez comme le sujet d'une parfaite joie les épreuves diverses qui vous surviennent, sachant que l'épreuve, à laquelle est soumise votre foi, produit la patience. » Le seul résultat que peut produire la tentation, c'est d'exalter ceux qui sont fidèles, d'affermir leur patience et de perfectionner leur compréhension. « Considérez [cela] comme le sujet d'une parfaite joie » !