Je me tenais debout, isolé dans la foule
Qui se pressait alors autour de notre Maître.
Sur le seuil d'une porte lui-même était assis;
Des enfants l'entouraient; et son geste d'amour
Bénissait tendrement le plus petit d'entre eux,
Blotti sur ses genous, certain d'un bon accueil,
Et sans crainte devant la censure sévère
Des disciples voulant écarter les intrus.
Tous ces regards naïfs, tous ces grands yeux candides
Sondaient les profondeurs d'une calme tendresse
Avec des cris de joie; car les petits enfants
Aiment à rencontrer un compagnon de jeu,
Un véritable ami qui puisse les comprendre.
Entourant de ses bras ce joyeux petit monde,
Jésus leva les yeux et se prit à parler
Du ciel et de l'amour de son Père, disant
Que le royaume est pour ceux-ci, et que leurs anges
Voient toujours la face de Dieu, dans l'innocence
Et la pure sérénité.
Or, tandis qu'il parlait, tous nous paraissions être
Non de tristes pécheurs, endurcis dans le mal,
Portant le lourd fardeau des nombreuses années,
Des espoirs envolés et de la solitude,
Mais d'innocents enfants que le Père connaît,
Libres comme l'oiseau et purs comme la neige.
Jésus alors parla d'une brebis perdue,
Égarée au désert, errant à l'aventure
Au milieu des épines et près des noirs fourrés
Où les loups ravisseurs se jettent sur leur proie;
Il montra le berger partant seul dans la nuit,
Cherchant sans se lasser la brebis égarée
Que son amour fidèle enfin retrouvera;
Et le tendre berger en aura plus de joie
Que de tout son troupeau dans l'ombre du bercail.
“Ainsi le veut mon Père: aucun de ces petits
Ne doit être oublié ni périr au désert.”
Et tandis qu'il parlait, ses yeux cherchaient les miens;
Je voyais son regard au travers de mes larmes,
Et, noyés tout à coup dans leur flot bienfaisant,
Je sentis mes péchés s'en aller avec elles,
Me laissant net et pur, comme au printemps les fleurs
Que la pluie a baignées et qui sourient de joie
Lorsque le chaud soleil reparaît dans les cieux.
Et toutes mes erreurs, et mes fautes nombreuses,
Fondaient comme un brouillard aux rayons du matin.
Mon passé m'apparut alors comme un vain songe
Fait de tableaux sans suite et de vaines images.
Son ferme et doux regard parlait à ma pensée,
Et je compris enfin qu'avec moi son amour
Était allé chercher cette brebis perdue,
Mon innocence errante,—égarée au désert,
Délaissée, lacérée, et méprisée de tous,
Abandonnée de ceux qui s'étaient joués d'elle!
L'arrachant au malheur, le berger plein d'amour
La ramenait enfin dans la paix du bercail.
“Et c'est là,” disait-il, “cet agneau que le monde
A toujours immolé, et qui vit maintenant
A jamais!” C'est alors qu'en mon cœur je compris
Que mon être réel était immaculé,
Pareil à l'agneau blanc sur une verte colline,
Pareil à la lumière intacte des étoiles
Qui brillent au travers des ombres de la nuit.
Et je sentis aussi que jamais je n'avais
Perdu ma pureté. C'était un mauvais rêve
Que Christ était venu briser par sa parole
Lumineuse et dont la céleste Vérité
Chasse toute ignorance, comme on voit le soleil
Dissiper la nuit sombre et laisser à sa place
La glorieuse splendeur des rayons du matin.
Dès lors je pus sourire et relever la tête,
Contempler la face de Dieu, comme l'enfant
Qui regardait sans peur ce visage si pur,
Posant ses doigts menus sur la bouche du Maître.
Et semblable au Psalmiste, je sus que pour jamais
La beauté du Seigneur reposait sur mon front.
