Qu’il est étrange de constater le peu de grâce avec laquelle on a débattu de la grâce pendant près de 2000 ans! Pour les chrétiens, la perte supposée de la grâce marquait la différence entre les tourments éternels de l’enfer et la paix éternelle. De nos jours, pourtant, la grâce passerait presque pour un concept sans intérêt, par comparaison. Le sujet évoque des images qui appartiennent au passé, ou bien l’intervention de Dieu lors d’un «Jugement dernier» qui ne fait plus peur qu’à un petit nombre.
En revanche, les idées de Mary Baker Eddy sur la grâce montrent que le sujet est crucial pour notre époque – sans risque de susciter une peur théologique.
Pourquoi la grâce est-elle si essentielle? Parce qu’à un moment ou à un autre, chacun se trouve dans l’obligation de faire face aux limites d’un monde mortel. Les circonstances peuvent varier – on redoute quelque chose, on souffre en secret de quelque insuffisance ou l’on se sent diminué dans son corps – mais chacun connaît tôt ou tard les limites de ses capacités personnelles et prend alors conscience de la nécessité de se tourner vers une source plus élevée pour devenir plus fort. Cette source, c’est la grâce de Dieu, librement dispensée à tous.
La Bible abonde en situations désespérées dans lesquelles les personnages doivent affronter les limites d’un monde mortel: Joseph est emprisonné injustement; poursuivis par l’armée égyptienne, Moïse et les enfants d’Israël se retrouvent face à la mer Rouge; la petite fille de Jaïrus meurt avant l’arrivée de Jésus... Cependant, la grâce salvatrice de Dieu apporte un dénouement heureux à chacune de ces situations. Dans Science et Santé avec la Clef des Écritures, Mary Baker Eddy explique que «le miracle de la grâce n’est pas un miracle pour l’Amour [Dieu]» (p. 494).
Compter sur ses propres ressources, physiques ou mentales, dans des situations dramatiques, est voué à l’échec. Mais la grâce de Dieu n’est ni aléatoire ni impuissante. Comme les capacités humaines normales ne suffisent pas toujours à répondre aux besoins individuels, la guérison obtenue grâce au pouvoir et à l’amour de Dieu peut dérouter ou sembler miraculeuse. Mais plus on connaît Dieu et l’abondance de Son amour, plus on apprend à faire confiance à la permanence de la grâce divine.
Bien que l’histoire du christianisme montre que les chrétiens ont été plus préoccupés par le salut après la mort que par la guérison des tragédies terrestres, la plus grande difficulté pour comprendre comment accéder à la grâce ici-bas, ou dans l’au-delà, est liée à la nature de la relation humaine à ce pouvoir divin. Dans la pensée chrétienne primitive, Adam illustrait la chute de l’homme né dans ce monde. Mais la grande controverse sur les pécheurs et la grâce a vraiment commencé vers la fin du IVe siècle entre le Père de l’Église, Augustin d’Hippone, et son adversaire, le moine Pélage. Augustin était bien conscient de ses propres insuffisances. En fait, il était certain que tous les êtres humains étaient médiocres, dépravés, et coupables. C’est pourquoi il ne voyait pas comment on pouvait échapper au péché et à la mort. Tous les hommes doivent avoir une parenté avec Adam, affirmait-il, puisque tous sont pécheurs comme Adam. Sur cette base, Augustin expliquait que la grâce divine ne pouvait venir que de Dieu, non des pécheurs. Selon sa propre conception de la grâce, Mary Baker Eddy aurait volontiers admis que tout lien de parenté avec la famille d’Adam nous sépare de la bonté.
Cependant, Pélage avançait un point important. Si Augustin estimait (comme c’était le cas) que la grâce de Dieu était totalement indépendante des mobiles et des actes des individus, et que la pratique des vertus humaines et des bonnes œuvres n’était pas suffisante pour mériter ou gagner la grâce de Dieu, alors la faiblesse humaine était excusable. Les humains ne trouveraient jamais la motivation ni la force nécessaires pour se repentir et croître en grâce. Ce serait trop démoralisant, soutenait Pélage, de penser que nous sommes des pécheurs invétérés qui n’ont pas le moindre espoir de s’amender.
L’importance que Mary Baker Eddy accorde, elle aussi, à la croissance en grâce ne l’empêche pas d’approuver la sombre image qu’Augustin avait des péchés commis par les mortels. Mais elle propose une troisième explication qui tient compte du fait que Dieu est la seule source de la grâce, et que les humains peuvent, et doivent, y accéder. Au lieu d’établir deux formes de réalité différentes, elle distingue «l’image et la ressemblance» de Dieu d’avec une représentation métaphorique du genre humain nommée Adam. Il est important de faire cette distinction si l’on veut que les humains connaissent le pouvoir de la grâce de Dieu. Ce point demande de plus amples explications. Mary Baker Eddy utilise par analogie la relation de la terre et du soleil pour bien faire comprendre le rapport entre Dieu et l’humanité (voir Science et Santé, p. 120-123).
Supposez que vous êtes sur le soleil: vous n’avez aucune peine à voir que la terre tourne autour du soleil. Mais si vous êtes sur la terre, vos sens physiques vous fournissent une information diamétralement opposée. Vous «voyez» chaque jour le soleil se lever et tourner autour de la terre. À l’évidence, ces déclarations contradictoires ne peuvent être vraies toutes les deux.
L’astronomie explique que la vérité est celle que l’on ne peut voir de ses yeux: c’est la terre qui tourne autour du soleil. Notre relation à Dieu est du même ordre. Supposez que vous observiez l’univers du point de vue de Dieu: vous discernez, comme Lui, Son image et Sa ressemblance. En regardant l’univers du point de vue des sens physiques, vous voyez exactement le contraire: un Dieu fait à notre image, sous les traits d’un vieil homme barbu, par exemple.
Malgré ces points de vue opposés, il n’y a qu’une seule vérité. Comme dans le cas de la relation de la terre et du soleil, nos sens physiques voient la relation de l’homme et de Dieu inversée. La seule et unique réalité, c’est ce que Dieu voit.
À partir de cette analogie, on comprend qu’Adam représente le caractère inévitable d’une vie mortelle vouée au péché et à la mort, c’est-à-dire sans rapport avec ce que nous sommes réellement, le contraire de l’être vivant créé par Dieu et sans péché. En toute logique, si la grâce vient du Dieu parfait, nous sommes capables de l’exprimer puisque nous sommes l’image et la ressemblance de Dieu. Non pas que l’on puisse individuellement «provoquer» la grâce, mais chacun de nous est à même de l’exprimer et d’en faire l’expérience, tout comme Joseph, Moïse et la fille de Jaïrus. De même que celui qui assiste à un lever de soleil doit s’en remettre à la science astronomique pour percevoir le mouvement de la terre, celui qui se trouve dans une situation difficile doit s’en remettre à la parole de Dieu, la grâce, pour percevoir la sécurité et l’harmonie liées au gouvernement divin.
La sécurité individuelle ne dépend ni de la volonté humaine ni de miracles aléatoires. En réalité, la conscience de la présence continuelle de Dieu dans notre existence nous apporte la sécurité en nous assurant que le bien est constant et accessible à tous. Comprendre la nature ininterrompue du bien permet de mieux comprendre le lien entre la grâce et le salut.
Ce serait effrayant de devoir compter sur ses propres capacités pour parvenir au salut individuel! Mais cela serait tout aussi terrifiant de croire que le salut ne concernerait que ceux que Dieu auraient prédestinés! Ce sont bien là les peurs qui ont suscité tant de conflits théologiques au cours des siècles. Mais le monde moderne a rendu la pensée dépendante de la technologie en matière de médecine et de pouvoir, si bien que le salut ne semble pas avoir l’importance qu’il avait pour nos ancêtres, et que les luttes intenses d’antan paraissent aujourd’hui plus théoriques que pertinentes.
Pourtant, selon Jésus, le salut est bien plus important que le désir de sécurité ici-bas ou même après la mort, si légitime que soit cette préoccupation. Ses descriptions du ciel ont plus à voir avec le fait d’aimer son prochain que de goûter un repos paisible dans des rocking-chairs célestes. Pour paraphraser Jésus: «Si vous voulez communier avec Dieu, commencez par vous réconcilier avec les membres de votre famille ou vos amis.» Ou bien: «Si vous voulez être l’un des enfants de votre Père céleste, aimez vos ennemis autant que vous aimez vos amis.» (voir Matthieu 5:23, 24, 43, 44)
L’amour inconditionnel est conforme à la relation qui caractérise l’Amour (Dieu) et son image et sa ressemblance (l’homme): si l’on connaît la grâce de Dieu manifestée par l’amour inconditionnel de la Divinité, alors en tant que ressemblance de Dieu, on exprimera inévitablement cet amour sans condition.
«Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de la prière du désir fervent de croître en grâce, prière exprimée par la patience, l’humilité, l’amour et les bonnes œuvres», écrit Mary Baker Eddy. (Science et Santé, p. 4) La grâce vivante prouve que nous avons la capacité de voir la création de Dieu du point de vue de Dieu. Nous savons en conséquence combien nous sommes aimés, et participons à cet amour pour tous. Aujourd’hui, il se peut que l’on nous appelle pour réparer une injustice faite à quelqu’un, guérir un malade qui souffre ou éliminer l’angoisse ou la colère d’une personne que l’on ne connaît pas, et tout cela parce que nous aurons été touchés par la grâce de Dieu.